Claude Malhuret : « Donald Trump va se planter »
Le président du groupe Les Indépendants du Sénat dont le discours anti-Trump a fait le tour du monde, ne voit pas grand avenir à la stratégie du président américain.

Le monde est sidéré par les droits de douane que Donald Trump veut imposer…
Trump est persuadé d’avoir raison tandis que la plupart des économistes et des chefs d’entreprise sont convaincus qu’il a tort, ce que confirment la chute des bourses et les réactions sur les tarifs. Les droits de douane sont néfastes pour l’économie mondiale et leurs conséquences négatives sont innombrables. Il nous faut démolir l’argument qu’il utilise : « vous nous avez pillé ». L’évolution des PIB de chaque pays dans le monde montre au contraire que les États-Unis ont connu avec le libre-échange une formidable progression de leur richesse nationale. Tous les pays en ont bénéficié mais les États-Unis encore davantage que le reste du monde, y compris la Chine qui connaît des difficultés depuis trois ans. Le raisonnement de Trump est faux dans les faits.
Qu’adviendra-t-il ? Une guerre commerciale mondiale ?
Trump va se planter. Il s’est déjà planté lors de son premier mandat quand il avait emprunté des voies défavorables aux États-Unis à qui il a fait perdre de l’influence mais il n’avait alors pas les moyens, ni les mains libres au Congrès. Il n’a pas tellement changé mais cette fois-ci, il a tous les moyens en sa possession et il va aller beaucoup plus loin. Il n’est là que depuis deux mois, le temps de la sidération provisoire qui ne va pas durer. Les Américains aiment les cow-boys mais on ne se fout pas de leur gueule impunément.
Le temps de la résistance est venu. Déjà, les réactions sont fortes. Les juges résistent, les démocrates relèvent la tête, l’opinion publique réagit et Trump chute dans les sondages, le Dow Jones tombe. Ça va mal se passer. Les juges sont en train de bloquer beaucoup des décrets pris par Trump. L’administration réagit, y compris la Cour Suprême qui compte pourtant six de ses neuf membres en faveur de Donald Trump.
Les chefs d’entreprise, eux aussi, s’élèvent contre Trump. Ceux de l’automobile sont paniqués. Aux États-Unis où les entrepreneurs ont un vrai pouvoir politique, de nombreux secteurs vivent du commerce international. L’opinion publique va basculer.
Le trio infernal, Trump, Vance et Musk, peut-il tenir ?
L’attelage Trump, JD Vance et Elon Musk ne pourra pas continuer longtemps. Ce sont des pieds nickelés et le trio va se dissoudre de l’intérieur. Elon Musk a perdu beaucoup d’argent, il ne va pas rester à la tête du Département de l’efficacité gouvernementale ; il est temps pour lui de se récupérer sur les contrats publics. Il est un aventurier qui voudra se refaire la cerise. D’autant que son influence politique est nulle : dans le Wisconsin, il a mis 70 millions de dollars pour faire élire un juge républicain et ils se sont bananés. Son opposante démocrate a gagné les doigts dans le nez.
Au bout de deux mois, on en est déjà là ! Trump a peu de temps devant lui. Il peut perdre les midterms d’ici quelques mois et alors il sera empêché. Le pire n’est donc pas sûr. Les Américains se sont fait berner.
Ce sont ces gens-là, avec Orban, Bolsonaro, Salvini, qui ont apporté leur soutien à Marine Le Pen après sa condamnation ?
Ce soutien est un non-événement. Il n’est que la suite logique de l’internationale révisionniste que j’appellerais populiste plutôt que réactionnaire qui s’étend jusqu’aux Chinois et qui a décidé de remettre en question l’ordre international de 1945 où les instances telles que l’ONU et l’OMC installées par les États-Unis, devaient garantir la paix.
Chaque siècle a ses marqueurs. Le 17ème siècle est celui des royautés absolues et de l’ordre westphalien avec le traité de Westphalie ; le 18ème celui des Lumières et des révolutions démocratiques, entre autres la Révolution Française ; le 19ème celui de la révolution industrielle et de ses conséquences où l’Europe qui domine le monde réalise la conquête coloniale.
Le 20ème siècle voit d’une part la décolonisation et les indépendances, d’autre part une lutte à mort depuis 1917 jusqu’à la chute du mur de Berlin entre les démocraties et les totalitarismes que nous avons failli perdre deux fois et que nous avons fini par gagner. Avec la chute de deux murs lourds de symboles : celui de l’Atlantique en 1944 et celui de Berlin en 1989, où la défaite du communisme a favorisé l’augmentation du nombre des démocraties dans le monde.
Le 21ème siècle, surtout depuis 2010, voit chuter les démocraties au profit des régimes dits illibéraux. L’on assiste alors à une alliance des dictatures pour mettre à bas les démocraties. C’est la phase que nous vivons en raison de l’alliance de quatre dictateurs (Russie, Chine, Corée du Nord, Iran) qui tentent d’enrôler le « Sud global » pour remettre en question l’ordre international selon deux caractéristiques : le remplacement des démocraties par des régimes autoritaires et surtout depuis l’élection de Trump, la tentative de diviser du monde en sphères d’influence, ce qui finit toujours mal car elle crée des conflits.
Et Trump dans tout ça ?
Dans les pays démocratiques comme les États-Unis, le mouvement est celui de la transformation des démocraties libérales en démocraties illibérales qui ont vocation à devenir des dictatures avec l’obsession politique nationale de l’immigration et de la sécurité. A l’international, ces pays sont anti-européens, anti-OTAN et pro-Poutine. C’est le cas de la Hongrie, de la Tchéquie, des États-Unis et c’est ce que cherchent en France des forces comme le Rassemblement National ou Éric Zemmour.
Avec la menace que fait peser la guerre en Ukraine, les pro-Poutine comme Le Pen ou Mélenchon restent-ils qualifiables pour une présidentielle ?
Ils seront tous deux candidats et leur soutien à Poutine joue contre eux. Au bout de trois ans de guerre en Ukraine, les Européens commençaient à être fatigués. Mais depuis l’élection de Trump et l’humiliation de Zelensky dans le bureau ovale, les sondages montrent que les Français ressentent l’injustice de la bascule des États-Unis en faveur de Poutine, et dès lors leur soutien à l’Ukraine connaît un rebond.
Emmanuel Macron chutait dans les sondages et il aurait pu encore reculer lors de son discours sur la nécessité d’accroître l’aide à l’Ukraine. Il a au contraire gagné des points grâce à l’effet drapeau. En tant que défenseur de l’Ukraine, je me félicite de la réaction des français.
De même, lors des dernières élections législatives partielles dans le Jura, le RN a perdu dix points et le Nouveau Front Populaire huit points tandis que la candidate LR en a gagné seize à 54 % des voix au premier tour. Ceci résulte du fait que les français, souvent critiques et contestataires vis-à-vis de leur gouvernement, sont désormais plus inquiets de la guerre en Ukraine et de l’élection de Trump qui humilie Zelensky et fait le jeu de Poutine.
Le signe qu’ils ont compris que les démocraties sont en danger en raison de la montée des dictatures et de l’illibéralisme.
Merci à Trump et à Poutine d’avoir réunifié les Français responsables contre eux ?
La réaction à Poutine est l’entrée de la Finlande puis de la Suède dans l’OTAN. Avec Trump, les Européens savent qu’ils n’ont plus d’armes et cherchent à renforcer leur défense. En cela, on peut dire merci mais le mal est terrible par ailleurs : l’Ukraine, les tarifs douaniers, les menaces sur le Canada et le Groënland.
Je ne suis pas inquiet, en revanche d’une progression de l’invasion russe dans un pays de l’OTAN. La dissuasion nucléaire continue de fonctionner d’autant plus que les Chinois interdisent à Poutine d’utiliser sur le terrain du nucléaire tactique. La stratégie chinoise est à long terme et il n’est pas exclu qu’ils envisagent un jour d’envahir Taïwan. Mais je n’ai pas l’inquiétude d’un conflit mondial que la dissuasion empêche.
La Russie va sortir de la guerre dans un état catastrophique, ils n’ont réussi à conquérir que quelques centaines de kilomètres mètres carrés par an. Il faudra des années pour que la Russie redevienne potable. Cela fait un siècle qu’ils détruisent leur population. Ils vont poursuivre leur guerre hybride d’incursion informatique contre les démocraties mais ils ne sont pas près d’arriver sur les Champs-Elysées !
Comment se soldera la lutte entre les populismes et les démocraties ?
La lutte entre les démocraties et les dictatures va se poursuivre pendant des années avec des conséquences économiques négatives. Partout où le populisme a gagné, c’est l’extrême-droite qui s’est imposée. En France, en raison de son histoire, le populisme est divisé en deux, entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Mieux vaut être pour Robespierre que pour Tocqueville car le mythe de la Révolution exonère Robespierre dans l’historiographie française dominante. Cette division a empêché les populismes d’arriver au pouvoir en France alors qu’ils sont ensemble majoritaires. Le danger est que depuis le 7 octobre, avec son radicalisme, Mélenchon est en train de se suicider. Et, la situation ressemble à celle de l’Italie où Meloni a fini par récupérer tout le monde.
L’un des dangers de la folie de LFI est qu’elle aide à dédiaboliser l’extrême-droite et qu’elle ouvre la voie d’un passage d’électeurs de l’extrême-gauche à l’extrême-droite (c’est déjà largement fait pour les anciens électeurs du PC). Nous verrons quels seront les effets de la condamnation de Marine Le Pen, il est trop tôt pour savoir à qui elle va profiter. Celui qui prophétise est un bonimenteur.
Propos recueillis par Valérie Lecasble