Claudia Sheinbaum Pardo : une présidente pour un Mexique macho ?

par Emmanuel Tugny |  publié le 22/03/2024

Pour la première fois, le Mexique pourrait donner la victoire à une femme. Et quelle femme ! 

Claudia Sheinbaum Pardo, la candidate à la présidence du Mexique de la coalition Let's Keep Making History, lors d'un rassemblement pour lancer leur campagne au Zocalo à Mexico City, Mexique, le 1er mars 2024- (Photo Eyepix / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Claudia Sheinbaum Pardo, 61 ans, semble en mesure de succéder au truculent Andrés Manuel López Obrador (dit « AMLO »).  L’écrivain élu en 2018 avait promis en avril 2022, suite au référendum qui l’avait amplement relégitimé, de ne pas se représenter au terme d’un mandat « bougiste » au succès mitigé. Populiste et volontiers démagogue, il avait mené une politique économique et sociale de centre-gauche, en apôtre du dialogue permanent avec les classes intermédiaires syndicale et patronale.

Il s’était attaché à la lutte contre la criminalité et à un aménagement équitable du territoire, affichant une hostilité maîtrisée à l’accroissement de l’influence américaine sur ses terres.

Sa politique de « quatrième transformation » a foulé au pied la fourmilière mexicaine, mais elle a suscité de virulentes oppositions, tant du côté des classes populaires que du côté des possédants et elle a, de l’avis général, valu davantage par son volontarisme que par ses réalisations majeures.

En terre de corruption bétonneuse, de refoulement des questions écologiques, la physicienne de formation, maire de Mexico entre 2018 et 2023, est en effet en mesure de faire valoir les compétences acquises au sein du GIEC entre 2007 -année où le Groupe obtient le Prix Nobel de la Paix- et 2013, et de l’ONU, où elle a travaillé entre 2015 et 2017 sur la question des externalités du développement territorial.

Rien ne distingue fondamentalement – préoccupation climatique exceptée – la politique menée par Obrador de la proposition programmatique de Sheinbaum. Après Rosalia Arteaga, Dilma Roussef, Isabel Martinez de Peròn, Marta Suplicy, Eva Peròn, Lidia Gueiler Tejada, Janet Jagan, Íngrid Betancourt, Marina Silva, Violetta Barrios Chamorro, Michelle Bachelet et quelques autres, elle fera peut-être son entrée dans le cercle étroit des femmes sud-américaines de haute influence.

Celles-ci ont réussi à faire exception à une règle patriarcale sud-américaine dont la vie quotidienne mexicaine donne l’un des exemples les plus insoutenables : au Mexique, dix femmes sont tuées en moyenne par jour (féminicides de Ciudad Juarez et de Tijuana, du Sinaloa, viols et mutilations systématiques au cœur des quartiers dominés par les gangs).

Souverainisme social, lutte anti-corruption, péréquation territoriale, austérité financière : Claudia Sheinbaum fera siens les axes de travail d’Obrador et se contentera sans doute de « verdir » l’héritage de son prédécesseur et mentor.

Elle tirera leçon de ses échecs et profit du raidissement d’une Amérique toujours plus rétive à accueillir une immigration mexicaine qui vide le pays de ses forces vives.

L’aisance avec laquelle elle progresse vers le pouvoir, en dépit des efforts de son adversaire conservatrice Xóchitl Gálvez, prouve en tout cas –  comme l’attestent au reste ces séries latinos en vogue où cheffes mafieuses et femmes flics mènent le bal –  que le leadership féminin est de moins en moins contesté sur un sous-continent qui, depuis le milieu des années 2010 (Argentine, Chili, Brésil, Mexique…) voit un féminisme inventif et virulent, souvent intersectionnel (« féminisme métis » mexicain), occuper un forum chaque jour plus réceptif à sa cause.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie