Clémentine Autain (LFI) : « Nous ne gagnerons pas seuls contre tous, dans le bruit et la fureur »
LFI, la NUPES, Mélenchon et la gauche. Le remaniement, les Européennes, les Présidentielles et la montée de l’extrême-droite. Macron, le service public et Depardieu…La députée LFI, voix forte à gauche, dit sa vérité. Et appelle à l’union
LeJournal.info : L’heure est au remaniement du gouvernement. Grand bouleversement ou simple gesticulation ?
Clémentine Autain : On commente beaucoup le casting, mais l’essentiel est ailleurs. Ce remaniement met fin à toute forme d’hypocrisie en donnant à voir la réalité de la Macronie : et de droite, et de droite. Nous avons eu une présidentielle sans projet, des législatives sans majorité, voici maintenant le quinquennat sans souffle !
Gabriel Attal est né de la cuisse de Jupiter. Il a beau être un brillant communicant, il n’en reste pas moins un fidèle héritier, le serviteur zélé des privilégiés. Ce n’est pas en mettant des visages jeunes et souriants que la colère et le ressentiment vont se calmer. C’est l’orientation politique d’Emmanuel Macron, inchangée, qui nous mène dans le mur.
La nomination de Rachida Dati, tant commentée, exprime surtout le rapprochement idéologique entre Renaissance et LR. Elle dit aussi le mépris du pouvoir en place pour la culture. La nouvelle ministre n’a aucune légitimité ni vision sur ce sujet.
Je retiens surtout la reconduction des « poids lourds » à l’Économie et à l’Intérieur. La redistribution des richesses au profit des plus riches va continuer et le contrôle des libertés, aussi. Dans les portefeuilles des 14 ministres annoncés, il n’y a pas de prérogatives logement, transport et fonction publique. C’est la part belle au privé et le mépris des services publics.
Qu’attendez-vous aujourd’hui de Gabriel Attal ?
Qu’il se soumette au vote de confiance ! C’est le minimum attendu pour toute démocratie digne de ce nom. Nous saurons alors qui est et qui n’est pas dans l’opposition à ce gouvernement. Faute de majorité, Élisabeth Borne ne l’a pas fait. Gabriel Attal va-t-il lui aussi ignorer l’avis de la représentation nationale ? La crise que nous traversons n’est pas seulement politique : notre régime est à l’agonie. L’utilisation par Macron des pires mécanismes de la Ve République pour gouverner seul, contre la majorité, indique l’urgence d’une nouvelle République.
En France, prenons conscience que l’accession au pouvoir de Marine Le Pen ne serait pas la triste copie de celle de Georgia Meloni en Italie. Car la Ve République, comme nous le voyons sous Macron, permet au Président d’imposer ses vues. Imaginez une Marine Le Pen au sommet de l’État : elle pourrait s’asseoir sur le pouvoir législatif et tous les contre-pouvoirs. Le niveau de régression, d’imposition de choix réactionnaires, pourrait atteindre de dangereux sommets.
La politique n’est jamais une affaire d’addition, mais toujours de dynamique.
Aux élections européennes, LFI, le Parti Communiste, les Écologistes et le PS vont présenter des listes séparées. L’addition des listes rapporte-t-elle plus de voix que l’union sur une seule ?
La politique n’est jamais une affaire d’addition, mais toujours de dynamique. Je continue de penser qu’il y avait trois bonnes raisons d’y aller ensemble. D’abord, c’était la condition pour être en tête. La Nupes aurait pu viser d’être devant le RN et Renaissance, ce qui aurait eu un fort impact symbolique, notamment en vue de 2027.
Ensuite, faire campagne ensemble aurait permis d’approfondir notre position commune sur l’Europe. Car nous devons dépasser la déchirure de 2005. L’enjeu, c’est que l’Union européenne ne nous empêche pas de mener le programme de la Nupes. Bien sûr, on ne peut et on ne doit pas vivre cloîtrés à l’intérieur de nos frontières, nous devons rechercher des partenaires, agir à des échelles plus grandes. Mais nous ne voulons pas d’une Europe qui tourne le dos à des politiques publiques progressistes. Enfin, cela nous aurait permis de faire vivre localement l’union, en mettant en mouvement ensemble nos différents militants et sympathisants.
L’hégémonie revendiquée par LFI a fait fuir les autres partis. Désormais, c’est la liste du PS menée par Raphaël Glucksmann qui est en tête de la gauche…
Depuis quelques sondages et pour l’instant ! Il reste cinq mois de campagne… Surtout, faisons attention aux lectures hâtives des pronostics et, demain, du résultat, des Européennes. Nous avons tous intérêt à prendre acte du nouveau leadership conquis par la gauche aux deux dernières élections présidentielles. En 2017 et 2022, c’est la gauche porteuse d’un changement profond, à la fois social et écologique, qui a été placée très nettement en tête avec Jean-Luc Mélenchon.
L’une des difficultés de la Nupes est qu’une partie de ses acteurs conteste cette réalité et rêve d’en finir avec le projet qui a créé de la dynamique. Ceux-là oublient que l’ère Hollande, avec sa politique à l’eau de rose moulée dans les logiques de compétitivité, de concurrence à tous les étages, de normes comptables, nous a menés à la catastrophe pour la gauche et surtout à la désespérance dans le monde populaire. Ceux qui refusent de tourner cette page-là font fausse route.
Quant à La France Insoumise, elle devrait entrer dans une nouvelle séquence politique. Maintenant que nous avons, par deux fois à l’élection majeure, pris l’ascendant à gauche, notre enjeu est de conquérir le pouvoir. Il faut donc rassembler, agréger et donner confiance aux Français sur notre capacité à gouverner. Faire vivre le pluralisme, à l’intérieur de LFI et avec les partenaires, est indispensable. Nous ne gagnerons pas seuls contre tous.
Les vociférations des députés LFI à l’Assemblée Nationale et les outrances de Jean-Luc Mélenchon n’aident pas ?
Quand Jean-Luc Mélenchon réalise un score de 22 % à la Présidentielle, il ne le fait pas avec le bruit et la fureur, mais sur un profil calme, rassembleur et pédagogique. Mais, depuis un an, la France Insoumise a fait un autre choix stratégique, celui de conforter « le socle », au risque de fracturer notre propre électorat et d’amoindrir nos chances de l’emporter au second tour. La recherche du clivage pour espérer galvaniser le cœur de notre électorat, notamment dans les quartiers populaires, peut nous affaiblir au premier tour et surtout créer un plafond de béton au second. La radicalité ne se mesure pas au nombre de clashs et de décibels.
Je plaide depuis un an pour que nous gagnions en solennité. Je ne crois pas au clivage permanent, sur tout, à chaque instant.
LFI est un parti d’opposition qui ne veut pas gouverner, mais claque les pupitres et cherche à renverser la table. Une attitude qui participe largement à la banalisation du RN ?
LFI est un parti d’opposition parce que la Macronie est au pouvoir ! Mais nous aspirons à gouverner. Ceux qui participent à la banalisation du RN se trouvent à Renaissance et dans les médias dominants. C’est la Macronie qui a accepté la cogestion de l’Assemblée nationale avec le RN. C’est elle qui ne s’est pas fermement opposée à la présence du RN dans la manifestation contre l’antisémitisme et, pire encore, qui a imposé une loi sur l’immigration qui marche dans les pas de Le Pen. La responsabilité d’Emmanuel Macron est immense : il devait faire barrage à l’extrême droite et il se transforme en passerelle !
Pour autant, je plaide depuis un an pour que nous gagnions en solennité. Je ne crois pas au clivage permanent, sur tout, à chaque instant. Comme d’autres, je défends un profil plus fédérateur.
Sur le fond, en revanche, nous aurions tort de ne pas vouloir renverser la table d’une certaine manière. C’est la condition pour en finir avec la compétitivité comme boussole et la réduction de la dépense publique pour mantra. Pour gagner, nous avons besoin d’une gauche franche.
Avec, encore une fois, Jean-Luc Mélenchon ?
L’enjeu, c’est d’abord de consolider un collectif. Le temps de savoir qui va l’incarner n’est pas venu. Notre responsabilité, c’est de remettre l’ouvrage sur l’établi du rassemblement de la gauche et des écologistes, sur la base du programme de la Nupes, dans lequel le PS, EELV, le PCF, évidemment LFI, et bien d’autres, se sont reconnus. Je suis convaincue que la situation politique, avec la menace plus tangible que jamais d’une extrême droite au pouvoir, va obliger à sortir des replis actuels.
Le mal n’est-il pas déjà irréversible depuis que Jean-Luc Mélenchon a notamment refusé de reconnaître le Hamas comme une organisation terroriste ?
La séquence au sujet des actes terroristes du Hamas le 7 octobre et de la vengeance aveugle inouïe d’Israël, au mépris du droit international, a laissé des traces de tous côtés. Avec « l’affaire Quatennens » ou la stratégie parlementaire dans la réforme des retraites, des tensions et divisions avaient déjà traversé la Nupes. Et les tentations identitaires se déploient de partout. Aujourd’hui, je vois grandir un climat propice au retour des « deux gauches irréconciliables ». Il faut à tout prix l’empêcher.
Comment gagner, améliorer la vie des gens si nous partons à la présidentielle en deux morceaux, façon puzzle, alors même que nous avons su nous entendre sur le programme avec la Nupes ? La reconfiguration du champ politique en trois pôles – RN, Renaissance et nous– nous oblige. Surtout avec la place de la présidentielle dans le système politique français.
Au moment même où on se demande de quel côté va sortir la lave du volcan, une course de vitesse est engagée avec l’extrême droite. Tous ceux qui cotisent à la fracture entre deux gauches sont irresponsables !
Pendant longtemps, on a crié au loup avec l’extrême droite. Et c’est au moment où elle est le plus proche d’accéder au pouvoir que toutes les logiques collectives de barrage s’effondrent ! J’appelle au sursaut.
La faute seulement à la gauche ?
Non, bien sûr. Emmanuel Macron porte une responsabilité immense. Il a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen et il fait passerelle. Alors que le ton dominant dans les médias est à la banalisation du Rassemblement national et à la diabolisation d’une partie de la gauche. C’est gravissime.
Mais, vous-mêmes avez uni vos voix à celles du RN en votant la motion de rejet de la loi sur l’immigration. Avec pour résultat de la durcir, exactement à l’inverse à ce que vous escomptiez…
Nous avons simplement dit non à l’examen de cette loi, car nous n’en voulons pas. Là est notre droit de parlementaire et notre fidélité à nos principes. C’est la Macronie qui a accepté de durcir ce texte : elle aurait pu le retirer. Il y a depuis les années 1980 une loi tous les deux ans qui réduit les droits des migrants et des réfugiés. Cela produit de la misère et de l’exclusion, de la stigmatisation et du racisme. Il faut que ça cesse. Il n’y a pas une crise des migrants, mais une crise de l’accueil.
La question des services publics dit la société que l’on veut construire
La rupture fondamentale que vous évoquez est celle des services publics ?
Oui c’est un élément d’identification fondamental de la gauche et auquel je consacrerai un colloque le 3 février à l’Assemblée nationale. Qu’est-ce qui peut fédérer le monde populaire des banlieues et des sous-préfectures ? Je suis convaincue que nous avons une problématique commune forte avec les services publics. Ce sont les déserts médicaux, les problèmes de transport, la fermeture des guichets, les classes sans professeur… Le scandale des Ehpad ou celui des crèches nous montrent que la logique du profit est une catastrophe pour répondre à nos besoins. Il faut investir dans les services publics, accroître le nombre des fonctionnaires et augmenter leur rémunération. Or, en dix ans, de 2009 à 2019, les salaires des fonctionnaires ont stagné quand celui des salariés du privé a augmenté de 13 % !
La question des services publics dit la société que l’on veut construire : là où l’extrême droite fonde son projet sur l’identité, nous voulons l’égalité.
Vous êtes une féministe revendiquée depuis toujours. Mais pas un mot sur l’affaire Depardieu ?
Ce que dit l’affaire Depardieu, c’est qu’il y a quelque chose qui ne passe plus, une prise de conscience, notamment chez les jeunes. Entre les 50 artistes qui défendent Depardieu et l’appel des 600 qui le contrent, chacun peut observer une forte dimension générationnelle. Les discours qui visent à innocenter un homme sous prétexte qu’il serait un monstre sacré ne passent plus. Macron a craché sur sa prétendue grande cause du quinquennat contre les violences sexuelles. Le président de la République s’est rangé du côté des prédateurs et non des femmes victimes.
Peut-on séparer l’homme de l’artiste ?
Ceux qui défendent à travers l’artiste toute la culture française effacent la parole des plaignantes. Je n’ai pas vu de prise de position de féministe demandant à ce que tous les films de Depardieu soient mis à la poubelle. Ce que nous demandons, c’est le respect pour la parole des plaignantes. Un vieux monde s’écroule.
Propos recueillis par Valérie Lecasble