« Clôturer »

par Jean-Paul Mari |  publié le 17/04/2023
Novlangue

C’est la guerre ! Ou presque. Les préparatifs ont commencé là devant nous. Bientôt notre monde sera séparés en territoires qu’on ne pourra franchir que par des check-points , en priant Dieu de ne pas se faire enlever. Aaarg !

Exagération?

Regardez, pauvres aveugles, ou écoutez pour le moins. Le monde ne se couvre-t-il pas de barbelés ? Fait pour tenir les vaches dans les prés, c’est aussi l’herbe de la guerre, la ronce métallique des fossés, il forme ses haies, ses tranchées, entoure ses champs, de bataille bien sûr, accroche l’uniforme et retient le corps du combattant frappé de plein fouet. Ce barbelé est là, pour l’instant invisible. Partout on clôture!

Ecoutez. La radio, à six heures du matin, alors que l’aube pâle pointe: « Le débat parlementaire s’est clôturé à deux heures du matin… » Là, ce banquier qui me menace de clôturer mon compte si le découvert n’est pas comblé ». Mon argent ne m’est plus accessible sauf à se déchirer le porte-monnaie. Et, cette joyeuse discussion qui s’est clôturée autour d’un verre. On a fermé le bar?

Et encore, cette relation amoureuse avec une femme, qu’elle a clôturée avec une lettre. Un peu de papier et beaucoup d’agrafes métalliques, retravaillées, cela peut le faire – l’amour, c’est la guerre – clôturant une relation en dents de scie, façon barbelés.

Et aussi, jusque dans les commentaires sportifs, une première mi-temps qu’on a fini par clôturer, sans nous dire comment les deux équipes soudain prisonnières de leur moitié de terrain ont fait pour réussir à jouer la deuxième mi-temps, avant – une manie! – de clôturer le match sur un terrain transformé en Verdun.

Des esprits malsains de pacifistes, Munichois du langage, essaient d’insinuer qu’on entend par « clôture » le sens du verbe « clôre ». Et que, par facilité, les commentateurs, journalistes, publicitaires et même politiques, utiliseraient l’un quand ils veulent dire l’autre. Ils plaident  qu’il n’est pas aisé de manier le verbe. Quoi ? On renoncerait donc à :  je clos- tu clos –il clôt- nous closons – vous closez- ils closent ? Pour le remplacer par une clôture fort peu champêtre à tout bout de champ ?

Bon, je comprends qu’on puisse hésiter à ordonner « clôsez » à l’impératif, ou plus doux « tu cloras » au futur, ou à demander « ainsi, vous clôsites votre relation amoureuse » sans compter qu’il eût fallu que je closisse ce monarchique toujours imparfait du subjonctif.

Mais pour l’amour de Dieu : osons closons  ! Ou, au minimum, « clore », quand on veut dire finir, achever, mener à bien ou terminer une œuvre. Snobisme ? Avouez-vous qu’un « boucle la ! » sonne mieux qu’un « clôture la ! ». Une discussion n’est pas clôturée, elle peut s’ouvrir, mal tourner et se refermer, voire se reclore mais une fois reclôturée, tout est fichu.

Pour clore sans clôturer cette guerre des mots, cessons de clôturer notre langue. Et débarrassons le monde de tous ces infâmes barbelés qui ne nous parlent que d’une chose : la guerre, on vous dit !

Ou peut-être, au final, la paresse de la Novlangue.

Jean-Paul Mari