Commandant, de Sandro Veronesi

publié le 28/10/2023

Un sous-marin ennemi, un cargo coulé, des naufragés et des voix entrecroisées qui nous livrent un roman bouleversant. Un simple devoir d’humanité. Par Laurent Perpère

 

 

D.R

Octobre 1940. Ici, en mission dans l’Atlantique, un sous-marin italien, le Cappelini, sous les ordres du commandant Todaro. Tout près, un cargo belge, tous feux éteints, neutre et pourtant armé d’un canon, bientôt coulé. Mission accomplie. Et pourtant dans la nuit, des formes sombres à la surface et des cris : deux, cinq rescapés. Les ordres de l’amiral Dönitz sont formels, on doit les abandonner.

Pour Todaro, ce ne sont plus des ennemis, mais des naufragés : il décide de les sauver, contre les ordres, contre son équipage. Une vingtaine d’autres ont pu monter dans une chaloupe, qui n’ont aucune chance de survivre au milieu de l’océan. A eux aussi il offre le salut. Se charger ainsi de ce fardeau d’humanité trop nombreuse met gravement en danger le sous-marin et son équipage, qui désormais s’offrent en cible facile aux bâtiments de guerre anglais. Todaro ne faiblit pas un instant dans sa décision, habité par l’évidence d’un choix qu’il impose à tous.

Veronesi, le très remarquable auteur de Chaos calme et du Colibri, explique dans une belle introduction l’origine de son roman. L’été 2018 fut celui de la fuite massive de migrants sur des radeaux de fortune vers l’Italie : la Méditerranée devint un grand cimetière marin, qu’elle est toujours. Révolté par cette tragédie, il fonda une ONG pour tenter de porter secours à ces malheureux : c’est là qu’il rencontra Edoardo De Angelis, cinéaste. Edoardo avait entendu parler de l’histoire du commandant Todaro, et, chance extraordinaire, dans ce groupe militait aussi une femme qui s’avéra être sa petite-fille. Ainsi décidèrent-ils de faire un film et un roman.

Veronesi est un grand écrivain. Son livre n’est pas simplement une histoire édifiante à usage contemporain.

D’entrée, on entend une voix, celle de Rina, la femme de Todaro, qui nous dit la douleur de voir partir son mari, déjà meurtri dans sa chair par la guerre : « Je savais que j’avais épousé un guerrier… je savais qu’il servirait sa patrie sans compter, qu’ainsi il donnerait sa vie. Et ça me tuait, moi aussi. » Éternelle plainte d’Andromaque…

Todaro n’est pas un pacifiste. C’est un chasseur qui n’a aucun scrupule à couler ce cargo suspect : c’est son métier, il le fait avec talent et autorité. Et avec une tranquille assurance, ce même Todaro, Dieu de la guerre pour ses hommes, risque son sous-marin, son équipage, se désarme pour sauver des vies ennemies.

Le roman est fait de ces voix entrecroisées qui disent l’espoir, la révolte, le désarroi, l’incompréhension, celles des hommes d’équipage, des officiers, des Belges rescapés, d’un commandant anglais. Et toutes les voix se rangent peu à peu derrière la calme détermination de ce guerrier bouleversant de simplicité, qui n’a pas oublié d’être un homme et qui sait ce que vaut un homme : tout.

Commandant, roman, Sandro Veronesi, Edoardo de Angelis, septembre 2023, Editions Grasset