Comment gagner la guerre en Ukraine
Au deuxième anniversaire de la guerre , et malgré les déconvenues, les démocraties ont tous les moyens de faire échec à Poutine. À condition qu’elles comprennent ce qui est en jeu. Par François Hollande
Il y a deux ans jour pour jour, les buts poursuivis par Poutine étaient la prise de Kiev, le renversement de Zelenski et l’asservissement de toute l’Ukraine, en escomptant l’indifférence du monde. Sous cet angle, la Russie a incontestablement perdu la guerre. Deux ans après « l’opération », les deux tiers du territoire ukrainien restent sous le contrôle de Kiev, les institutions du pays ont tenu, et l’Europe, comme les États-Unis, ont gardé le cap, fournissant une aide financière et matérielle au pays agressé, qui a aussi obtenu de pouvoir entrer un jour dans l’Union européenne, tandis que la Russie est isolée au sein de la communauté internationale.
Mais si la stratégie de Poutine consiste à aller au-delà des conquêtes des séparatistes en 2014 et du rattachement de la Crimée, à poursuivre son offensive au sud comme dans le Donbass, à infliger des pertes majeures à cette république récalcitrante, à épuiser sa population et à jouer sur les divisions du camp occidental en gelant la ligne de front, alors le dictateur, qui ne craint pas de nous effrayer en liquidant cyniquement ses opposants, peut espérer que le temps joue en sa faveur.
Il regarde avec délectation la situation politique se dégrader en Ukraine, à mesure que les sacrifices demandés deviennent exorbitants et que la contre-offensive militaire n’a pas donné les résultats espérés. Il attend avec gourmandise l’élection américaine, dont Trump, son complice, pourrait sortir victorieux. Il se félicite sans ostentation du blocage par le Congrès américain des aides promises à l’Ukraine. Il évalue méthodiquement les contestations qui montent en Europe face aux conséquences de la guerre, de la Pologne jusqu’à la France.
À l’occasion de la crise agricole, les paysans français s’en prennent aux productions ukrainiennes en céréales ou en poulets qui se déversent en grand nombre sur le marché et qui font baisser les prix. La hausse du coût de l’énergie entretient une inflation qui ronge le pouvoir d’achat des ménages les plus fragiles, qui sont aussi, forcément, les plus indifférents à la situation ukrainienne. Il observe sans déplaisir les populistes tirer avantage de ces désordres à la veille du renouvellement du Parlement européen, escomptant qu’ils pourront à leur tour bloquer les initiatives qui pourraient gêner la Russie.
Parallèlement, les horreurs du 7 octobre, puis le calvaire de Gaza, ont permis à Poutine de sortir des écrans. Elles ont conduit les pays du sud à s’en prendre aux Occidentaux, incapables d’arrêter, là aussi, une guerre meurtrière. Certains sont allés jusqu’à trouver à Poutine des circonstances atténuantes, comme en témoignent les déclarations de Lula, qui venait de recevoir Lavrov, le dévoué ministre des Affaires étrangères de Poutine.
Le calcul de Poutine est donc d’un terrifiante simplicité et d’une possible efficacité : attendre. Oui, attendre, attendre aussi longtemps que possible. Il n’a rien à craindre du scrutin prévu dans son propre pays : l’élection est déjà jouée. Il ne redoute pas davantage son opinion intérieure, dont une partie est fanatisée par un patriotisme dévoyé et l’autre étouffée par la répression.
Certes, les sanctions abîment chaque jour son économie et frappent son entourage proche et même lointain. Mais elles ne le touchent pas directement et la Russie contourne les embargos et les interdits avec la complicité de la Turquie, de l’Inde et, surtout, de l’Iran et de la Chine. Poutine se convainc que les Américains choisiront demain l’isolationnisme de Trump plutôt que l’interventionnisme de Biden et que les Européens, même s’ils se réarment, préfèreront une mauvaise négociation à une extension du conflit, tant ils ont une peur maladive de la guerre.
Dès lors, nous, Européens, n’avons pas le choix : il faut déjouer les plans du tyran. En relevant le niveau des sanctions, en accroissant le nombre de personnes et d’entités concernées – il y en aurait 6000 – et en n’hésitant pas à changer nos règles de droit, pour ne plus se contenter de geler les avoirs russes à l’étranger, qui s’élèvent à près de 300 milliards d’euros, mais pour les confisquer purement et simplement. Je regrette que l’Allemagne et la France s’y opposent encore, faute de base juridique et de peur d’une fuite des capitaux : ces réticences doivent être vaincues.
Ensuite, l’embargo sur le pétrole et le gaz russe doit être renforcé, en évitant les écarts et en punissant les contournements. Il en est de même sur le plafonnement du prix du baril. Enfin, en fournissant des moyens militaires à l’armée ukrainienne bien plus massifs et bien plus sophistiqués que ce qui est alloué aujourd’hui. Or les derniers approvisionnements américains datent de 2023 et l’Ukraine manque cruellement de munitions, c’est la raison pour laquelle l’armée russe peut avancer dans la Donbass.
Il en va de la sécurité de l’Europe : elle doit dégager les ressources financières nécessaires, y compris par un emprunt spécifique, pour accélérer les cadences de production, notamment de petit et de moyen calibre, pour livrer des missiles à longue portée et, enfin, fournir des technologies d’information et de renseignement capables de détecter les positions russes.
Comment admettre que la France soit seulement en quinzième position en matière de soutien militaire bilatéral à l’Ukraine, derrière l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ? Comment comprendre que l’Union européenne, pourtant la plus concernée, aide moins l’Ukraine que les États-Unis ? Comment justifier que les engins les plus sophistiqués, avions de combat, missiles, véhicules blindés, soient mis à disposition au compte-goutte au pays agressé quand c’est un matériel souvent à la limite du déclassement qui lui est généreusement accordé ?
N’avons-nous pas compris que si les Ukrainiens devaient céder et demain capituler en abandonnant à Poutine une fraction de leur territoire, il est probable que nous serons en première ligne. Ne voyons-nous pas que si les Américains, avec Donald Trump, devaient quitter l’OTAN, nous serions seuls face à un adversaire enhardi, enivré par son succès ?
L’opération du 24 février s’inscrit dans une bataille longue, qui n’est pas limitée à un seul pays. Cette guerre est une guerre contre nos valeurs, nos intérêts, nos modes de vie. Il est vital que l’Ukraine gagne la guerre, pour que demain, nous n’ayons pas à la faire.