Comment le RN séduit les profs
Le corps des enseignants, fidèle bastion historique de la gauche républicaine et laïque, est désormais sensible aux arguments de la droite radicale
Ils sont venus en cette grise matinée d’octobre dans la Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption d’Arras rendre hommage lors d’un dernier adieu à leur ami et collègue Dominique Bernard, poignardé par un terroriste Ingouche. Quelques jours plus tôt, ils avaient observé une minute de silence dans tous les collèges et lycées de France.
Au premier rang, Emmanuel Macron a bousculé son agenda pour être à leurs côtés dans une tentative désespérée de reconquérir la confiance de ces enseignants. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, leur vote en sa faveur n’a cessé de s’étioler.
Le Président de la République sait qu’il n’a récolté que 23 % de leurs voix au premier tour de son élection en 2022, un recul de… 13 points par rapport à celle de 2017. Plus grave, il sait aussi que de plus en plus d’enseignants se radicalisent pour rejoindre les rangs du Rassemblement National. 25 % de bulletins pour Marine Le Pen en 2022 selon le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). Un sur quatre, pour un million de personnes, 3 % de l’électorat français !
La tradition à gauche, qui paraissait bien établie, remonte aux lois scolaires de Jules Ferry en 1881 avec l’engagement des hussards de la République en faveur de la laïcité pour lutter contre l’obscurantisme. Et depuis près de 150 ans, les profs constituent le bastion de l’électorat d’une gauche laïque et républicaine, emblème de la lutte contre l’extrême droite. À la Présidentielle de 2012, ils avaient voté clairement à 65 % en faveur de François Hollande face à Nicolas Sarkozy. Et au premier tour, ils n’avaient apporté « que » 5 % de leurs voix à Marine Le Pen, 7 % en 2017. Pourtant, il y a six ans, tout a changé.
Que s’est-il donc passé depuis la première élection d’Emmanuel Macron pour que la droite radicale s’envole chez les enseignants à… 20 % de leur vote en 2022 ? L’assassinat de Samuel Paty est l’illustration symbolique d’un malaise plus profond : « il y a eu une forte avancée des radicalités, plus nette à droite qu’à gauche chez les enseignants. La raison principale est l’anomie », estime Luc Rouban, Directeur de recherche au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po).
L’anomie ? En clair, l’absence de règles collectives structurantes et de la disparition des valeurs communes. « Le sentiment que personne ne maîtrise plus rien, que l’appareil d’État fait défaut, qu’on est en train de perdre son métier ». Un sentiment de colère et de ressentiment qui s’agrège à la dégradation des situations professionnelles. « Le discours politique est républicain, mais les pratiques sur le terrain sont communautaires », ajoute l’expert.
D’où une perte de sens et une recherche d’autorité que le RN semble pouvoir résoudre avec ses promesses de limitation de vingt élèves par classe, le port de blouses et d’uniformes à l’école et une revalorisation de 3 % par an des salaires des professeurs. « Le RN a mis en place un cercle qui s’occupe des enseignants sur le thème de la laïcité. Quand un enseignant sur deux dit se censurer, ça leur parle » ,renchérit le politologue Pascal Perrineau.
Ce n’est pas pour rien que le tout nouveau ministre de l’Éducation Nationale, Gabriel Attal, a choisi l’interdiction de l’abaya à l’école comme électrochoc symbolique pour tenter de regagner le vote des enseignants. Même si, selon certains, il serait déjà trop tard.
À travers les funérailles de Dominique Bernard, le discours officiel s’efforce de souligner l’impérative nécessité de restaurer l’autorité de l’État pour redonner tout son sens au modèle républicain. Un long chemin…