Comment les démocraties gagnent les guerres
On croit que les pays libres, trop relâchés, trop divisés, trop individualistes, sont plus faibles que les tyrannies obsédées d’ordre et de discipline. L’exemple du 6 juin 1944 montre exactement le contraire.
C’était l’aube de la liberté… Il y a quatre-vingts ans, jour pour jour, heure pour heure, sous un ciel gris et sur une mer mauvaise, des dizaines de milliers de gamins se lançaient à l’assaut des plages entre Ouistreham et Carentan. Quelle était leur motivation ? Pourquoi venaient-ils risquer leur vie à des milliers de kilomètres de chez eux ? Pour beaucoup, ils auraient bien été incapables, ne serait-ce que six mois plus tôt, de situer la Normandie sur une carte. Certains venaient même de l’autre bout de la terre, entraînés dans un conflit qui, a priori, ne les concernaient guère. Ils ne défendaient pas leur terre, leur culture ou leur identité. Une poignée de Français mis à part, ceux des commandos Kieffer, ils ne disaient pas, comme on l’entend sans cesse aujourd’hui : « On est chez nous ! ». Non : ils venaient mourir chez les autres, pour les autres. Pourquoi ? Pour une idée.
On en doute ? Relisons ces extraits du discours que Dwight Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, a prononcé la veille du 6 juin, pour donner à ceux qu’il jetait dans une bataille incertaine et meurtrière le sens de leur mission. « Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux alliés et nos frères d’armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les nazis exercent sur les peuples d’Europe et vous apporterez la sécurité dans le monde libre. (…) Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la victoire ! » Une idée simple, donc, répétée trois fois dans cette martiale allocution : la volonté d’être libre.
Erreur historique
On croit souvent que les dictatures, disciplinées, ordonnées, fanatisées, sont plus fortes que les régimes de liberté, par nature émollients, obsédés par la paix, et même – l’extrême-droite ne cesse de le seriner – affaiblis par la décadence. Erreur historique : ce sont les démocraties qui gagnent les guerres. Malgré les sanglantes épreuves d’Omaha, de la pointe du Hoc ou de la batterie de Merville, ce sont bien des soldats des démocraties qui ont réussi l’opération Overlord, comme ils allaient finir par gagner la guerre contre le fascisme un an plus tard. Et ce sont ces mêmes démocraties qui l’emporteraient quarante-cinq ans plus tard, au terme de la guerre froide, sur le totalitarisme soviétique.
Tout cela pour une raison décisive : cette idée de liberté, au bout du compte, est plus forte, plus impérative, plus enthousiasmante que le fanatisme imposé par les zélotes de l’identité et du nationalisme. La défense d’une juste cause vaut toutes les propagandes des tyrans. Mutatis mutandis, dans un monde radicalement autre, cette même idée, qui est la grande leçon du D-Day, vaut aussi pour aujourd’hui.