Comment réussir grâce à la littérature
Antoine Compagnon nous livre un éloge paradoxal de la littérature, dans laquelle il voit un moyen très concret de progresser dans la vie et dans la société.
Quoique de l’Académie française et du Collège de France, Antoine Compagnon parle cash : « La littérature, dit-il, ça paye ! » Ça paye pour l’auteur : son métier, comme celui du coiffeur, ne connaît guère de gains de productivité ; sa rémunération suit donc, en gros, celle de l’économie et du coût de la vie.
Mais ça paye surtout pour le lecteur, même à l’époque des écrans et du numérique. À l’heure de la marchandisation de la société, on pourrait croire que « La recherche du temps perdu » de Marcel Proust, est un livre parfaitement inutile. Erreur : et si rien n’était plus essentiel pour réussir dans le monde d’aujourd’hui, que de savoir perdre du temps ? « La vraie vie n’est-elle pas la littérature », comme le disait déjà Baudelaire ? Non, répond Antoine Compagnon « avec Proust, la vie c’est mieux, le lecteur peut mieux réaliser sa vie grâce à la littérature ».
La compétence, dit-on, a remplacé la connaissance, l’enseignement doit être un investissement rentable, l’apprentissage de la grammaire, du vocabulaire, de l’orthographe sont devenus inutiles. « L’homme occupé », ou « L’Homme Pressé », comme disait Paul Morand, est devenu la norme, le temps de lecture s’est effacé devant celui des écrans. Le négoce a tout envahi.
Eh bien, non ! Réhabilitant le terme de l’ancien français, « la lettrure », à savoir l’instruction littéraire, Antoine Compagnon s’attache à montrer avec succès, dans un style vif et imagé, que « la suffisante lettrure procure à celui qui en dispose un avantage dans toutes sortes d’activités ». À commencer par une meilleure compréhension de l’autre et du monde. Antoine Compagnon s’attarde sur le rôle professionnel et personnel que joue la culture générale dans l’ascension sociale. Il regrette le recul de cet indispensable viatique dans les épreuves d’entrée aux grandes écoles (Sciences Po notamment), sous le faux prétexte qu’il serait un privilège de classe.
Au passage, il dévoile – partiellement – son histoire familiale (ce qui est rare chez lui). Il raconte comment il est parvenu au Collège de France et à l’Académie française grâce à Julien Sorel, à sa révolte, à tous ces auteurs qui lui ont permis de vivre sa vie comme si c’était de la littérature. « La culture nous donne du nez », qualité indispensable pour réussir. Certes, on lit moins de livres et on lit sur écran. Mais le livre numérique ne représente toujours que 10% du marché. Le livre imprimé reste irremplaçable, alors que l’on prédisait sa disparition. C’est le livre audio qui progresse, même s’il reste une interprétation d’acteur et travaille différemment notre imaginaire. Est-ce encore lire que d’écouter un livre ?
Sartre, déjà, s’était posé la question « Qu’est-ce que la littérature ? » Antoine Compagnon répond de manière encore plus actuelle : on le lit sans s’arrêter. Optimiste, il reprend à son compte cette formule d’Albertine, héroïne de Proust : « tranquillisez-vous, on se retrouve toujours ! ». La littérature et la « lettrure » sont toujours payantes à qui sait attendre. Comme un placement précieux, dont on ne touche que tard les intérêts, mais qui sont, en revanche, très gros. Autrement dit, la lecture a ce pouvoir différé mais magique : elle permet de devenir l’auteur de sa vie.
Antoine Compagnon, La Littérature, ça paye ! Édition des Équateurs, 192 pages, 18 euros.