Conseil d’État : la parole est d’argent

par Valérie Lecasble |  publié le 17/02/2024

 

Radios et télévisions vont devoir respecter pour chaque intervenant le « temps de parole » de chaque parti politique. Un bouleversement

, CNews, chaîne de télévision privée nationale française d'information continue, et Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat ordonne à Arcom de réexaminer le respect des obligations de CNews en matière de pluralisme, l'animateur de CNews Pascal Praud à l'arrière-plan.- Photographie Jean-Marc Barrere / Hans Lucas

Le pavé dans la mare lancé par le patron de Reporters Sans Frontières n’a pas fini de faire des vagues. L’ONG a en effet obtenu du Conseil d’État qu’il élargisse, non comme aujourd’hui aux seuls hommes politiques, mais désormais à l’ensemble des intervenants, chroniqueurs et commentateurs hormis les éditorialistes, l’obligation de respecter l’équilibre politique de leurs antennes. Ce qui visait initialement CNews, bouleverse en réalité tout le paysage audiovisuel français.

Techniquement, tous les médias audiovisuels devront recruter 24 heures sur 24 pour compter le temps à l’antenne de chaque intervenant, qu’il soit présupposé être de gauche, de droite, ou de la majorité. Un véritable casse-tête.

Politiquement surtout, les médias devront respecter le fameux « équilibre » que l’État français via l’ex-CSA devenu l’Arcom, leur impose depuis la loi du 30 septembre 1986, un « temps de parole »: qui doit en principe être équivalent pour chacun des partis politiques selon le score obtenu lors des dernières élections nationales, présidentielles et législatives.

En France, la presse écrite est libre de ses opinions. Il est admis que le Figaro et l’Opinion sont à droite, le Monde et Libération à gauche. Nous-mêmes, Le Journal, nous revendiquons de gauche. Et que dire pour l’audiovisuel aux États-Unis où la création en 1996 de Fox News par Rupert Murdoch a favorisé côté Républicain l’élection de George Bush puis surtout celle de Donald Trump ; puis en réaction le lancement de MSNBC par NBC Universal, côté Démocrate qui a soutenu l’élection de Joe Biden jusqu’à détrôner le leadership de sa concurrente depuis qu’elle a bien imprudemment soutenu l’attaque contre le Capitole.

Ce qui serait combats d’idées sur les chaînes américaines deviendrait en France une insipide reproduction des résultats passés sans aucune possibilité pendant les campagnes électorales de faire bouger le curseur en faveur de tel ou tel candidat ? Les juges ayant aussi pointé du doigt l’influence des actionnaires, ceux-ci sont priés de s’aligner.

Dans l’esprit, ce fossé provient du fait qu’aux États-Unis, les opérateurs doivent acheter au prix fort le droit d’être diffusés sur les chaînes câblées payantes. En France au contraire, l’État a offert gracieusement en 2005 aux principaux acteurs de la télévision l’autorisation d’émettre sur la TNT gratuite, une technologie acceptant davantage de canaux que l’ancienne hertzienne. Sans cela, BFMTV n’aurait pu exister.

Ce cadeau, financièrement inestimable, a un prix politique fort qu’il fait payer aujourd’hui. Puisque 68 millions de Français peuvent tous recevoir gratuitement chez eux les principales chaînes de télévision, le Conseil d’État ordonne qu’il soit hors de question que l’information y soit biaisée.

Ironie de l’histoire, CNews en ligne de mire aujourd’hui pour dérive droitière était aussi la chaîne, hier dénommée i>Télé, qui avait failli se voir interdire par le CSA l’accès à la TNT, car soupçonnée d’accointances…. à gauche.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique