Consommation d’énergie=PIB : une illusion ?

par Jacques Treiner |  publié le 07/01/2024

Pour bien mesurer ce que coûte croissance en énergie, il faudrait aussi prendre en compte celle utilisée pour la production délocalisée

YANCHENG, CHINE -Eoliennes dans l'estran de la ville de Yancheng, dans la province de Jiangsu, en Chine - Photo Costfoto/NurPhoto

C’est le Graal de certains économistes. Il faut décarboner nos sociétés, tout en maintenant une certaine croissance, alors que l’énergie que nous utilisons est majoritairement d’origine fossile carbonée. L’objectif est donc de découpler le Produit intérieur brut (PIB) et la consommation d’une énergie, encore largement d’origine fossile. Autrement dit, installer la « croissance verte ».

 L’analyse des données françaises du PIB et de la consommation d’énergie semble encourageante. Depuis le début du siècle, le PIB des pays riches augmente plus vite que la consommation d’énergie. Et depuis une dizaine d’années, le PIB augmente même à consommation d’énergie constante, voire en diminution! À l’échelle mondiale, en revanche, rien de tel. PIB et consommation d’énergie vont de pair.

Pour expliquer ces données contradictoires, il faut savoir que le PIB d’un pays est une assez bonne approximation de la somme des flux monétaires associés à la production des biens et des services consommés, qu’ils aient été produits nationalement ou importés. Mais l’énergie consommée nationalement ne tient pas compte de celle qui a été nécessaire à la production des biens et services importés. Or la baisse du contenu énergétique d’un pays est donc illusoire si il délocalise une partie importante de ses activités industrielles, et importe ensuite les produits qu’il ne fabrique plus.

Tout bien ou service s’obtient par transformations de la matière, dont la physique permet d’effectuer les bilans énergétiques. Par ailleurs, ces mêmes flux de biens et de services (pourvu qu’ils apparaissent sur le marché), donnent naissance à une comptabilité monétaire qui contribue au PIB.

À l’échelle mondiale, la croissance économique continuera donc à se mesurer sur la disponibilité en ressources énergétiques. À l’échelle régionale et a fortiori à l’échelle nationale, il en ira différemment. La croissance économique pourra être de moins en moins consommatrice d’énergie grâce aux améliorations techniques et aux modifications structurelles du PIB. Mais l’énergie économisée dans certains pays sera consommée dans d’autres pays pour le compte des premiers, comme c’est le cas pour la Chine depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (2001).

La forte chute de la consommation d’énergie finale attendue en France d’ici à 2030 selon la Programmation pluriannuelle de l’énergie, et qui devrait s’accompagner d’une forte réduction des émissions nationales de CO2, risque donc de cacher des consommations et des émissions délocalisées, dans un contexte d’économies nationales mondialisées.

Mais au-delà d’une certaine diminution de la disponibilité en énergie, c’est la production de biens et de services qui diminuera également. Vous avez dit décroissance ?

Jacques Treiner

Chroniqueur scientifique