Contre la police : l’outrance systémique
Les manifestations contre « les violences policières » ont systématiquement usé de formules agressives et exagérées, parfois scandaleuses. Rien d’étonnant à ce qu’elles manquent leur but
« Tout le monde déteste la police », scandent parfois certains manifestants. Le slogan, on le reconnaîtra, a quelque chose d’un peu exagéré : ils étaient à peine 30 000 à défiler samedi contre « les violences policières », alors que la France compte des dizaines de millions de justiciables. Il faut croire que l’impopularité de la police française est une chose toute relative…
Les manifestations contre la police ont droit de cité, elles ressortissent de la liberté d’expression et elles valent mieux, pour protester contre des fautes policières trop nombreuses, que les émeutes qui ont déchaîné une violence inouïe dans de nombreuses villes du pays. Encore faut-il qu’elles posent correctement les problèmes qui altèrent les rapports des forces de l’ordre avec une partie de la population.
Or les défilés de samedi, trop souvent, ont été placés sous le signe d’une outrance dommageable et parfois scandaleuse. Citons quelques slogans que les organisateurs des cortèges n’ont guère cherché à désavouer : « Police partout, justice nulle part », « La loi tue », « À bas l’État policier », une croix gammée associée au logo de la police nationale, et cet aphorisme relevé à Besançon : « Un flic, une balle ». Toutes formules fausses par leur exagération, ou bien franchement haineuses et irresponsables. À cela s’ajoute un incident parisien, quand des manifestants vêtus à la mode « black bloc » ont attaqué une voiture de police à coups de pierre et de barres de fer.
On remarquera, à cette occasion, l’effet pervers des vidéos diffusées par bribes sur les réseaux en temps réel. Pour se protéger, un des policiers de la voiture est sorti quelques secondes en braquant son arme sur les agresseurs pour les faire reculer. Aussitôt virale, l’image a suscité des réactions indignées à gauche, alors qu’il y manquait le contexte, à savoir une attaque préalable et violente contre la patrouille policière.
La présentation même de la manifestation par ses instigateurs – « contre le racisme systémique, les violences policières et pour les libertés publiques » – suscite l’interrogation. Si la police use de violence pour disperser une manifestation d’extrême-droite très agressive, la gauche protestera-t-elle ? De manière générale, doit-elle rester inerte face à des manifestants violents ou, a fortiori, face à des malfaiteurs armés ? Certaines violences policières sont inévitables et légales, d’autres non. La formule est donc sommaire.
Quant au mot « systémique », il est sujet à caution. On entend bien qu’il s’agit d’un concept sociologisant qui impute le racisme, non seulement à ses fautes individuelles, mais aussi à des préjugés, des pratiques, des mentalités parfois inconscientes qui finissent par « faire système ». Mais le public n’est pas composé seulement de licenciés en sociologie. Entend le mot, il comprend que le racisme policier est systématique. Nouvelle outrance. Le racisme dans la police est une réalité. Est-il général, habituel, admis ? On en doute.
Pour le commun des mortels, l’usage du mot « systémique » met tous les policiers dans le même sac ou, plus exactement, divise l’effectif policier en deux parties : ceux qui sont consciemment racistes et ceux qui sont assez stupides ou distraits pour l’être inconsciemment. Pour qui connaît un tant soit peu le fonctionnement de la police, ces formules sont injustes et, encore une fois, fausses à force d’exagération.
Dans ces conditions, les autorités, invoquant la mauvaise foi ou l’outrance des contempteurs de la police, ont beau jeu de rejeter purement et simplement ces critiques en les plaçant sous la rubrique des palinodies dogmatiques de l’extrême-gauche. Alors même que le fonctionnement de la police française mérite examen vigilant et réforme urgente.
Dans beaucoup de cas, l’insuffisante formation des policiers explique les fautes commises ; le manque de moyens ou d’effectifs reste un problème ; les règles d’intervention dans les manifestations doivent être revues et améliorées, à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe, l’Allemagne par exemple ; les contrôles d’identité au faciès doivent être combattus avec énergie ; enfin, la subordination des instances d’enquête sur les fautes policières à la hiérarchie du ministère pose un problème de principe. Voilà les problèmes qu’une manifestation sérieuse aurait dû mettre en lumière, en lieu et place de cortèges agressifs et insultants.