Contre le Mercosur ? Pas si sûr…
Les agriculteurs français dénoncent la concurrence déloyale imposée par l’Europe à travers l’accord « Mercosur ». Ils ont raison. Mais la France est aussi un gros exportateur de produits agricoles…
Faut-il avoir peur du Mercosur ? Selon qu’on cultive du blé dans une grande exploitation de la Beauce ou qu’on élève des ovins dans une bergerie des Cévennes, on aura des réactions antagonistes. Les premiers se positionnent en exportateurs sur un marché mondial en progression où ils figurent au premier plan. Les seconds sont confrontés à une pression étrangère telle qu’aujourd’hui plus de la moitié des viandes ovines consommée en France est importée. Les intérêts divergent.
Trompe-l’œil
La cause est entendue chez tous les syndicats, FNSEA comme Confédération paysanne. Une nouvelle révolte des agriculteurs, après celle de février dernier, va être déclenchée à partir de lundi. Refusant d’être pris en otages par la Commission européenne qui cherche à ouvrir de nouveaux débouchés aux industriels européens, les agriculteurs français veulent faire barrage à un accord de libre-échange avec les pays d’Amérique du Sud. Ils ont su se faire entendre au sommet de l’État. Après Emmanuel Macron qui a déjà manifesté en début d’année ses réticences à l’accord, c’est cette fois le Premier ministre Michel Barnier qui, à Bruxelles, a réitéré l’opposition de la France. Quitte à engager un bras de fer, sans le soutien ni de l’Allemagne, ni de l’Italie, ni de l’Espagne.
Pourtant, au regard des chiffres, la situation de l’agriculture française serait plutôt satisfaisante: l’an dernier, la balance commerciale du secteur a été positive de 5,3 milliards d’euros. Mais c’est un trompe-l’œil. En réalité, cet excédent a diminué de moitié en dix ans. Deuxième exportatrice mondial de produits alimentaires au début des années 2000, la France est aujourd’hui reléguée au sixième rang. Et ses importations, sur la même période, ont doublé.
Concurrence déloyale
Les exploitants agricoles se rebellent contre la Commission qui leur impose des normes phytosanitaires toujours plus contraignantes, alors que la concurrence non-européenne n’est pas soumise aux mêmes obligations vertueuses, notamment en Amérique du Sud. La Commission s’en défend, arguant que tous les produits importés de pays tiers sont soumis aux mêmes normes de qualité, sans compromis sur les standards sanitaires. Mais le respect des clauses miroir sur les conditions de production est illusoire, dénoncent les agriculteurs. Au point que les producteurs du Mercosur, déjà bien implantés dans l’Union, peuvent les défier avec des prix plus compétitifs malgré les coûts de transport ! Pas question, face à de telles conditions de concurrence déloyale, d’ouvrir plus larges les portes de l’UE.
Récidive
En fait, c’est le malaise agricole français qui réapparaît. En trente ans, le secteur a vu ses recettes fondre de 30%, et 60% des exploitations ont disparu sur cette période. Pour profiter d’une meilleure visibilité sur leur avenir, les agriculteurs réclament des mesures qui préservent la souveraineté agricole française. Mais cet avenir passe aussi par la consolidation de la politique agricole commune (PAC) et par la sauvegarde des débouchés dans des pays tiers.
Difficulté majeure : les situations sont très hétérogènes selon les filières. Les éleveurs de bovins doivent réduire leur cheptel, les viticulteurs sont contraints à l’arrachage et les producteurs de fruits subissent la concurrence d’importations à hauteur de 70% de la consommation. Mais les grandes cultures céréalières gagnent du terrain.
La Ferme France ne pourrait survivre confinée derrière ses frontières, ni se développer à l’abri de frontières européennes. Car malgré tout, elle reste le premier producteur mondial de vin en valeur et le troisième en volume malgré l’émergence de nouveaux concurrents, le premier producteur européen de viande bovine et troisième de viande porcine malgré les difficultés dans les deux secteurs, le premier exportateur européen de céréales…
Avec le Mercosur comme avec le Canada, l’Ukraine ou la Nouvelle-Zélande, des modalités d’échanges doivent être trouvées. L’Union européenne, qui reste le premier marché en valeur de la planète, a des arguments à faire valoir. Mais elle ne peut benoitement être un espace économique de plus en plus ouvert quand les autres grands marchés mondiaux érigent des barrières. Ce qui ne l’exonère pas d’une remise à plat des circuits de distribution pour restaurer la compétitivité des produits locaux en bout de chaîne.