Contre l’extrême-droite : vive la morale !

publié le 18/03/2024

L’indignation serait impuissante à enrayer la montée des nationalistes en Europe ? Pourtant, sans elle, le camp progressiste est désarmé. Par Boris Enet

Boris Enet

La percée de l’extrême-droite au Portugal lors des dernières élections nous ramène toujours à la même question : comment mettre un terme à l’ascension nationaliste ? À Lisbonne, on l’attribue à la crise du logement et à l’inflation plus qu’à une adhésion populaire aux propos racistes de Chega, groupe xénophobe et antiparlementaire. Mais que ce soit en France, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal ou en Espagne, la question ne devrait interdire aucun remède.

L’ascension des post-fascistes et populistes de la droite extrême – laissons la controverse lexicale – n’est pas seulement la conséquence de maux sociaux non résolus, comme on l’entend si souvent sur les plateaux. Si c’était le cas, le vote RN toucherait-il désormais des catégories plutôt favorisées ou des régions jusque-là immunisées, comme les cadres A de la fonction publique, y compris dans le milieu enseignant, l’ouest jadis catholique ou les CSP + en principe vaccinés contre les aberrations nationalistes ? Cette ascension est aussi le fruit du recul constant de la nécessaire indignation morale, de cette « bonne conscience » qui habitait jadis l’ensemble du peuple de gauche et bien au-delà.

Car la démocratie ne saurait se résumer au seul arbitrage sur le panier de la ménagère, la lutte anti-inflation et une meilleure répartition des richesses. Elle repose aussi sur une série d’interdits moraux, de progrès civilisationnels à défendre, faute de quoi elle se meurt petit à petit. Oui, on doit s’indigner devant l’attitude du RN à l’occasion de la disparition de Robert Badinter, devant sa falsification de l’histoire durant la Seconde Guerre mondiale ou aujourd’hui devant son positionnement moscoutaire.

La défense pied à pied des faits historiques, la lutte résolue contre la « post-vérité » complotiste, n’ont rien de secondaire et on ne saurait la laisser aux seules figures scientifiques. On le voit dans la jeunesse qui se rend encore aux urnes, avec une fascination pour la figure de l’homme ou de la femme providentielle, éloignée de tout standard démocratique. On le voit également sur le recul de l’acceptation vaccinale, d’une dangerosité inédite en France, signe d’une défaite éducative inquiétante.

Or, on tend aujourd’hui à dénigrer le « tribunal de la conscience » érigé dans les années 1990 contre le Front National d’alors, à relativiser le sursaut démocratique et civique de l’entre-deux tours en 2002 contre le patriarche du clan Le Pen. Un sursaut social et civique qui nous valut pourtant le salut de l’Europe de l’époque, celle de la presse et des peuples, pour qu’une certaine idée de la patrie des droits de l’Homme demeure. Désormais, tout ceci ferait presque « le jeu » du Rassemblement National et de Reconquête.

Et si c’était l’inverse ? Et si c’était cette accoutumance morbide aux plateaux de Pascal Praud, cet endormissement du corps social, cette banalisation jusqu’à la nausée des idées de M. Bolloré, qui étaient à l’origine de cette fascination collective ? Les « bonnes questions auxquelles de mauvaises réponses sont apportées »… indiquent aussi que la digue morale reste une impérieuse nécessité. Même le vieux Biden s’en est avisé pour tenter de conjurer le sort.

La mémoire civique n’est pas accessoire et la démocratie est aussi affaire de morale et de conception de l’Homme. Cela ne retire rien à la nécessité de proposer socialement et économiquement autre chose que le « en même temps » macronien. Mais attention à ne pas céder davantage sur les principes, à l’heure où les classes moyennes sont tentées par un basculement autoritaire en Europe. Ce sont elles qui forment le socle démocratique du vieux continent et ce sont elles qui l’ont déjà fait trébucher une première fois entre les deux guerres.

Boris Enet