COP 28 : un arrière-gout de pétrole

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 16/12/2023

« Accord inédit », « décision historique ». Certes, mais les subtilités diplomatiques ne résolvent pas tout. Surtout si on y regarde de plus près

Le suspense a été entretenu tout au long de la dernière nuit de la Conférence. Celui qui présidait cette vaste assemblée, le sultan El-Jaber a finalement réussi son pari, faire s’accorder sur un même document des parties qui, la veille encore, s’écharpaient sur un point essentiel : la sortie des énergies d’origine fossile, charbon, gaz, pétrole. En une nuit donc, un texte proposant sans grande conviction une « réduction progressive du charbon dont les émissions ne sont pas captées » et des « limitations de nouveaux forages » de gaz et de pétrole, à un document prônant franchement une transition énergétique « hors énergies fossiles ». Une proposition qui recueillait une ovation unanime.

Mais à y regarder de près, la prudence s’impose, surtout si l’on se réfère à la terminologie anglaise utilisée dans le document final. Les partisans de la sortie des énergies fossiles traduisaient leur position par le verbe « phase out », supprimer progressivement. Les autres, notamment les pays de l’OPEP, se contentaient au mieux d’un « phase down » ou d’un « phase down for unabated fossils » autrement dit réduire progressivement soit une diminution des énergies fossiles dont les émissions ne seraient pas captées ou stockées par des technologies encore mal assurées.

Entre supprimer et réduire, on comprendra qu’il y avait plus qu’une petite différence. La subtilité diplomatique finit par introduire l’expression « transitionning away from fossils fuels in energy systems », traduite en français par « transition vers l’abandon des énergies fossiles dans les systèmes d’énergie ».

Petit miracle terminologique, mais chef-d’œuvre d’ambiguïté quand même. Car les uns peuvent traduire transitionning par « sortir de… » ou « s’éloigner de… » Chacune des parties peut donc y trouver l’interprétation qui l’arrange. L’affaire n’est pas tranchée. Surtout que dans le reste du texte, malgré les nombreux rappels des travaux du GIEC (à la grande satisfaction de l’UE), le gaz apparait comme un outil de la transition énergétique et les technologies de captage et de stockage des gaz à effet de serre sont également notés comme solutions possibles. Reste que le triplement des énergies renouvelables, le doublement de l’efficacité énergétique, et même le retour en grâce du nucléaire plaident pour l’équilibre du document.

Quant à l’autre grand sujet, l’aide à la transition énergétique des pays en voie de développement concrétisée par le Fonds « pertes et dommages », le compte n’y est pas. Au-delà du rappel de la nécessité d’une transition « juste, ordonnée et équitable », rien n’indique que ces Fonds puissent être rapidement opérationnels. Les observateurs ont été frappés par la timidité des engagements financiers pris par les pays développés, y compris les plus riches. Là où des dizaines voire des centaines de milliards de dollars apparaissent nécessaires, les États sont évoqués des dizaines de millions. Pour les pays en voie de développement, notamment pour les États les plus menacés comme les petits pays insulaires, la déception est forte.

L’habileté diplomatique émiratie ne peut être contestée, le consensus trouvé à Dubaï n’en apparait pas moins très fragile. Que la COP 29 se tienne l’an prochain à Bakou, en Russie, autre grand pays pétrolier, n’est pas à cet égard un très bon signal pour la planète !

Jean-Paul de Gaudemar

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