Corse : la route de la séparation ?

par Laurent Joffrin |  publié le 14/03/2024

Les négociations entre le gouvernement et une délégation d’élus corses viennent d’aboutir à la reconnaissance de l’autonomie de l’île. Étape vers l’indépendance ? Rien n’est moins sûr.

Laurent Joffrin

La France jacobine se récriera : au terme d’une longue négociation, la Corse vient d’obtenir l’inscription du principe de son autonomie dans la Constitution française. Est-ce grave ? Pas vraiment si l’on y regarde de plus près. Certes, les tenants d’une République uniforme y verront un engrenage fatal qui mettra les deux anciens départements de Haute-Corse et de Corse du Sud sur la voie de l’indépendance pure et simple. La réforme prévoit en effet que l’île, qui bénéficie déjà d’un statut particulier, peut désormais « adapter » la législation nationale aux particularités corses.

Mais la Corse reste dans le cadre de la République, qui garde les mêmes pouvoirs régaliens (police, justice, armée) et dont la Constitution encadrera toujours les dispositions votées par l’Assemblée régionale. Le compromis négocié par Gérald Darmanin exclut tout autant la reconnaissance d’un « peuple corse » dans l’ensemble français et écarte la création d’un « statut de résident », qui aurait distingué sur l’île deux catégories de citoyens français, perspective qui reviendrait à appliquer en Corse une mouture de la « préférence nationale » chère au Rassemblement national.

Réalités essentielles

La réticence jacobine néglige surtout quelques réalités essentielles, qui expliquent la nécessaire évolution actuelle. En premier lieu, et même si cette constatation peut irriter, la Corse n’est pas tout à fait la France. Elle a été conquise par la force à la fin du XVIIème siècle, au terme d’un conflit militaire sanglant menée par les armées du roi Louis XV en butte à la résistance courageuse des forces locales. Pendant la Révolution, sous la direction de Pascal Paoli, héros national dont la statue se dresse sur la place principale de Corte, la capitale historique, elle a joui brièvement d’une indépendance liée à l’Angleterre. Géographiquement, elle est beaucoup plus proche de l’Italie que de la France, même si longtemps les cartes républicaines l’ont placée artificiellement à proximité des côtes du midi. Et bien que son destin ait été intiment lié à celui de la France, elle possède son histoire propre, sa langue, ses traditions et son originalité culturelle. Cette identité particulière a perduré jusqu’à aujourd’hui et s’est traduite par la victoire des partis autonomistes ou indépendantistes aux dernières élections.

C’est aussi un fait, souvent oublié, que la grande majorité des autres îles européennes disposent déjà, souvent depuis des lustres, d’un statut spécial. C’est le cas de la Sardaigne et de la Sicile, voisines de la Corse, qui vivent dans une autonomie reconnue depuis 1948. C’est aussi celui des îles espagnoles et portugaises, les Baléares, les Canaries, Madère ou les Açores, ou encore celui des possessions danoises que sont les Féroé et le Groenland. Dans la Manche, les îles anglo-normandes sont régies par des parlements élus, obéissent à des tribunaux locaux et arborent sur leur monnaie des signes distinctifs de leur identité. Toutes semblent s’accommoder fort bien de cette situation et aucune n’aspire sérieusement à l’indépendance vis-à-vis de leur nation tutélaire.

Stabilité

On dira néanmoins que la réforme corse risque d’enclencher un mécanisme de séparation. Rien n’est moins sûr : chacun sait en Corse que l’économie locale dépend étroitement de la solidarité française, que beaucoup de Corses n’ont aucune intention de rompre avec la République et qu’une grande partie de la population ne souhaite en rien vivre à l’avenir sous la coupe des militants nationalistes issus du FLNC, dont les méthodes expéditives jettent un doute sur leur attachement aux valeurs républicaines et qui entretiennent pour certains des liens douteux avec le banditisme local.

Autrement dit, la conquête d’un statut d’autonomie, qui correspond à un mouvement historique profond touchant, sous une forme différente, les régions françaises, ne lance pas forcément un processus « séparatiste ». Elle peut au contraire conférer à l’île la stabilité dont elle a besoin pour se développer au sein de la République.

Laurent Joffrin