Coup de boule et coup de fièvre

par Jérôme Clément |  publié le 05/04/2024

Un footballeur star du Racing assène un violent coup de tête à son entraîneur et le traite de « sale toubab »   – Blanc  en wolof-. Deux commentatrices s’en emparent et l’opinion se déchire…

D.R

On se souvient de la série Baron noir, créée par Eric Benzekri. Pour la première fois, une série entrait dans le vif du monde politique, racontant les mésaventures du maire socialiste de Dunkerque, Philippe Rickwaert, et les péripéties de l’élection d’une femme à la présidence de la République, Amélie Dorendeu. Cette fois, le vrai sujet de La Fièvre, nouvelle série du même Eric Benzekri, diffusée sur Canal + chaque lundi, c’est la société française au bord de l’implosion. L’argument tourne autour de l’univers du football et d’un coup de boule, donné par un footballeur vedette, furieux de ne pas avoir reçu de prix, à son entraîneur, qu’il traite de « sale toubab » (« sale blanc »).

Le football est censé rassembler. Le coup de boule fait exploser les communautés et devient le prétexte d’un affrontement raciste qui embrase la société. Deux femmes s’affrontent. Elles représentent chacune un clan : l’une, Marie Kinsky, animatrice populiste de droite d’une émission de télévision, jouée par Anna Girardot ; l’autre, Sam Berger, spécialiste de la communication de crise, jouée par Nina Meurisse, qui penche à gauche, bouleversée par ces affrontements violents auxquels elle ne parvient pas à mettre fin. Les deux femmes étaient amies autrefois, elles s’opposent désormais dans une France au bord de la guerre civile. La série n’est pas sans défauts : quelques clichés, des dialogues bavards, des caricatures aussi (le ministre). Mais elle retient l’attention.

Le monde de la fiction s’empare de la politique. Pas nouveau, mais, cette fois, il ne s’agit pas de revenir sur un événement passé, comme Costa Gavras l’a brillamment fait à longueur de films (de Z à Missing), mais d’anticiper sur un futur possible et s’inquiétant. La Fièvre démontre que l’on ne sait plus vivre ensemble. Le football, un sport qui a uni des générations de joueurs et de supporters, quelles que soient leurs origines sociales ou leur couleur de peau ; un jeu qui a permis l’intégration de tant d’immigrés et mélangé les identités, devient un terrain d’affrontements social et politique.

La référence à Stefan Zweig, célèbre auteur du Monde d’hier. Souvenirs d’un européen, nous dit clairement cette disparition du commun qui préfigure la guerre civile et la fin de notre société : « Il ne restait qu’une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que dureraient la fièvre et le délire des autres » ( Stefan Zweig). Cette fiction, bien menée, a pour but d’ouvrir un débat sur des sujets brûlants. Remplace-t-elle le vrai débat politique ? Elle attire au moins notre attention sur les dangers qui pèsent sur notre démocratie, et ouvre la possibilité de réagir.

Ce faisant, la série souligne aussi les pires maux de l’époque : disparition du dialogue, absence de paroles, disparition des controverses idéologiques. La communication reine dans les palais officiels comme à la télé, où des communicants, guerriers-rois de notre époque, s’affrontent, l’œil sur les sondages, aggrave ou essaie d’endiguer l’issue fatale. Le téléspectateur-citoyen regarde, passif, étalé sur son canapé, cette fin d’un monde qui est le sien. Un symptôme inquiétant.

La Fièvre, Série TV 2024, CANAL+ , Eric Benzekri

Jérôme Clément

Editorialiste culture