Coups d’État en Afrique : ce qu’on ne dit pas
Remarque intempestive : si nombre de pays africains se détournent de la démocratie, c’est qu’il y a des raisons…
Démocratie ! Démocratie !
Comme s’était un jour exclamé le général de Gaulle à propos de l’Europe, « on peut sauter sur sa chaise tel un cabri en disant Démocratie, Démocratie, mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien ».
Il se trouve que conseiller auprès de Roland Dumas, ministre des Relations extérieures, j’ai écrit la toute première version du « discours de la Baule ». Dans cette allocution, prononcée le 20 juin 1990, François Mitterrand adjurait ses invités, chefs d’états africains, de suivre le mouvement de l’Histoire et de changer, quelque peu, leurs pratiques.
« Système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure… l’aide (de la France) sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation ».
Rappelons le contexte. Le mur de Berlin s’était effondré huit mois plus tôt, le « Conducator » de la Roumanie, Nicolae Ceaucescu et son épouse Elena avaient été exécutés le jour de Noël 1989 et dans la foulée, un peu partout en Afrique, comme au Mali, les dictateurs avaient été chassés.
Une ère nouvelle allait commencer : bye, bye et sans regret, l’Union soviétique ! Bonheur et prospérité pour la planète Terre, garantis par le double moteur du Marché et de la Démocratie !
Trente-trois ans plus tard, ce message sonne comme une invitation au réveil ! Sauter sur sa chaise en psalmodiant le mot magique ne suffit pas. Chacun des coups d’État constatés ces derniers mois dans l’ouest de l’Afrique a ses caractéristiques, son déclencheur et ses modalités.
Mais si les militaires n’ont pas été chassés aussi vite qu’apparus, c’est partout pour la même raison : une « Démocratie » perçue comme 1) une idée importée, imposée par les anciens colonisateurs 2) une tromperie sur ses résultats escomptés : aucune amélioration sur la situation concrète des populations (à quoi sert votre Démocratie si aucun Développement ne la sous-tend ?) 3) un voile jeté sur la corruption généralisée, qui peut ainsi continuer tranquillement, souvent favorisée justement par… les entreprises des anciens colonisateurs « démocrates ».
Pardonnez de nous citer, mais dès 1992, dans notre livre Besoin d’Afrique, avec Eric Fottorino et Christophe Guillemin, nous alertions : « La démocratie sans développement est une poudrière ».
Démocratie, Démocratie !
D’abord, ne méprisons pas les autres peuples du monde ! Comment imaginer qu’eux aussi, tout comme nous, souhaiteraient vivre dans un pays où les urnes expriment des choix clairs, hors de tout trafic, où les opposants ne risquent pas la mort, où sont respectés la liberté de penser et son vecteur, la presse, où l’indépendance des magistrats est garantie, où un poste de ministre cesse d’être le meilleur et le plus rapide moyen de faire fortune soi-même et avec sa famille…
Qui sont les protestataires, amis des militaires ? Une bande minoritaire payée pour hurler dans la capitale, drapeaux russes déployés. Ailleurs, figurez-vous que les êtres humains cultivent les mêmes rêves que nous.
Voici deux hommes, regardez-les, tendez l’oreille : ils nous parlent.
Le premier s’appelle Bazoum, prénom Mohamed. Président élu du Niger mais séquestré avec sa femme et son fils, avec la complicité présumée de son prédécesseur et soi disant « protecteur et ami », Mahamadou Issoufou. Monsieur Bazoum, en deux ans de mandat, a prouvé qu’on pouvait accroître la sécurité dans son pays, réduire la corruption, développer l’éducation…
Le second, quant à lui, incarne une maladie souvent liée au pouvoir et dont nous connaissons trop bien les symptômes : duplicité, traîtrise, négation des valeurs partout proclamées.
Ne nous y trompons pas ! Ces lointains nous sont proches. Les « événements » en Afrique de l’Ouest nous concernent. N’avons-nous pas conscience que cette Démocratie est aussi chez nous, les donneurs de leçons, en très grand péril ? Abstention, réseaux haineux, prise en otage par le court terme, séduction populiste (qui est le pendant au Nord du recours, ailleurs, aux militaires)…
Alerte ! Et au travail ! Comme dans les mariages : on croyait l’amour acquis et, faute d’inattention, on se retrouve un jour séparés.