« Cousin, bro, frérot »
Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité.
« Frère », « bro », « sis », « cousin », « frérot » : la cordialité contemporaine, qui emprunte à la fois à la lointaine Amérique et aux proximités méditerranéennes, aux lexiques de l’Ecclésia et de l’Oumma, convoque métaphoriquement les liens du sang pour dire une aspiration communautaire éperdue, dont Michel Maffesoli sut à son heure tracer les contours en visionnaire.
La substitution de ces appellatifs issus des lexiques familial et communautaire à des vocables relevant du champ amical ou courtois traduit un air du temps rien moins qu’individualiste : tribal.
Cet air du temps ne place nullement en son cœur l’unicité d’un moi en quête de la commune reconnaissance. Il voit son peuple parer à l’angoisse de l’être-là en substituant à la collectivité de la cité, disparate, composite, dialectique, des ensembles culturels homogènes, des familles identitaires, des consanguinités de re-naissance, des fratries imaginaires palliatives..
Non, le sujet contemporain n’aspire pas à la dignité de l’individu exhaussé par la souveraineté républicaine : il veut être « seul en groupe », jouir du couvert de la communauté des « mêmes »…