Crépol : à parler trop vite…

par Laurent Joffrin |  publié le 05/12/2023

Le meurtre du jeune Thomas, au vu des enquêtes sérieuses menées par les journalistes du Parisien, ne s’est pas déroulé comme l’ont dit CNews ou le JDD. Ce qui n’est pas rassurant pour autant.

Laurent Joffrin

Rien n’est simple, tout se complique. Plutôt que de se lancer, à la différence de tant de leurs hâtifs confrères, dans des interprétations hasardeuses, les journalistes du Parisien se sont avisés de faire leur travail. Sur la base des interrogatoires menés par les gendarmes, ils ont reconstitué heure par heure la soirée tragique de Crépol qui s’est soldée par la mort du jeune Thomas, poignardé par un agresseur venu d’un quartier populaire. Tout n’est pas encore limpide et il faut garder en tête la fragilité des témoignages. Mais il apparaît de plus en plus que le récit que le groupe Bolloré a voulu imposer dès les premières heures ne correspond pas à la réalité des événements.

Pour le JDD, Europe 1 et CNews, rassemblés tel un chœur à l’unisson, une bande venue du quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère a organisé une expédition punitive ultra-violente contre un bal populaire tenu dans un village français et paisible, fan de rugby et non de foot, dans une scène qui symboliserait parfaitement la « guerre des civilisations » qui partagerait la France entre la minorité musulmane et la majorité « française de souche », blanche et catholique.

Or il apparaît que les jeunes venus de la Monnaie sont arrivés les uns après les autres, que rien n’indique une préméditation concertée, et que l’affaire a démarré comme une banale querelle de fin de bal avant de dégénérer en bagarre sanglante et meurtrière. Il apparaît encore que ces jeunes, connus de leur voisinage à la Monnaie, forment avec une centaine d’autres une petite escouade agressive et violente qui, loin de représenter leur communauté supposée, la tiennent au contraire sous leur coupe et pourrissent la vie de ses habitants, lesquels aspirent depuis longtemps, quelle que soit leur origine, au retour à l’ordre et à la tranquillité.

Ce qui fait courir un risque subséquent : voyant la version de l’extrême-droite controuvée, une partie de la gauche sera tentée de ranger dès lors ce meurtre dans la catégorie routinière des faits divers tragiques sans signification sociale ou politique particulière. Or le récit du Parisien, s’il écarte l’hypothèse horrifique d’une « guerre des civilisations », décrit une réalité néanmoins angoissante. Les jeunes agresseurs venus de la Monnaie ont eu l’inquiétant réflexe de venir au bal armés de couteaux. Plutôt que de s’en tenir à une rixe à mains nues, comme souvent dans ces fins de soirée, ils ont immédiatement sorti leur arme pour tuer un jeune homme et en blesser plusieurs autres avant de prendre la fuite.

Ainsi il s’avère de nouveau, comme dans trop de quartiers populaires, qu’un milieu violent s’est installé à demeure à la Monnaie, rendant la vie des habitants impossible, vivant de vols et de rapines, terrorisant les familles, provoquant sans cesse les forces de l’ordre, et tirant souvent leurs revenus d’un trafic de drogue pratiqué au vu et au su de tous. Loin de la « guerre civile » convoquée sans cesse sur les plateaux bolloréens entre les musulmans et les autres, on assiste à la pérennisation d’une contre-société délinquante, certes minoritaire, mais que ni la police ni les professeurs ou les travailleurs sociaux ne parviennent à réduire, par la sanction ou la prévention.

Ce qui fait qu’une fois encore les clichés commodes agités par les deux bords cachent une réalité sociale rétive aux préjugés, qui mine néanmoins, peu à peu, la société française.

Laurent Joffrin