Cuba : les soviets moins l’électricité

par Laurent Joffrin |  publié le 19/10/2024

Une panne majeure a plongé depuis trois jours l’île de Cuba dans le noir. Ce black-out spectaculaire met en lumière les tares du régime cubain, à rebours de tous les clichés.

Les Cubains discutent la nuit dans une rue lors d'une panne d'électricité à l'échelle nationale causée par une panne de réseau à La Havane le 18 octobre 2024. (Photo d'Adalberto ROQUE / AFP)

.C’est le grand retour de la bougie. La première centrale de l’île de Cuba est tombée en panne, privant la population de courant électrique. Comme l’écrit l’excellent Jean-Dominique Merchet, de l’Opinion, paraphrasant Lénine : « le communisme cubain, c’est les soviets moins l’électricité ».

Avec deux ou trois autres objets de musée (le Venezuela, la Corée du Nord…), Cuba a survécu à l’effondrement du communisme dans sa forme classique. L’économie y est collectivisée à 80%, le Parti communiste règne en maître absolu, toujours dominé par la famille Castro, les libertés publiques sont réduites à la portion congrue, l’île ne compte que deux journaux en tout et pour tout, étroitement contrôlés par l’État et, par l’intermédiaire des « Comités de défense la révolution », le Parti communiste soumet la société cubaine à un contrôle implacable. La panne géante, causée par la vétusté des centrales électriques, traduit de manière éclatante la prodigieuse inefficacité d’un régime étouffé par la bureaucratie.

Mais en dehors de ces constatations d’évidence, la situation de l’île met à mal une ribambelle de clichés. Les centrales cubaines sont des centrales thermiques, éminemment polluantes. Or on entend partout que le capitalisme est le principal responsable des dommages causés à la planète. Mille excuses : le communisme aussi. L’économie cubaine repose sur une agriculture intensive (sucre, café, tabac, etc.) dont les effets environnementaux, en dépit de la quasi-disparition de l’économie de marché, sont tout aussi délétères que la « logique du profit ».

De même le gouvernement cubain table sur l’extraction pétrolière pour soutenir son économie, bien plus que sur les énergies renouvelables. Ce qui tend à prouver que le lien entre capitalisme et pollution n’est pas forcément le facteur essentiel. Le productivisme est un mal largement partagé, qui dépasse, comme la pensée écologique elle-même, l’opposition entre secteur public et secteur privé, n’en déplaise aux anticapitalistes qui peuplent souvent les partis écologistes.

Les conservateurs, les libéraux, américains notamment, en déduisent l’inanité totale d’un régime trop étatique. L’ennui, c’est que le socialisme a aussi des vertus. Le système éducatif cubain, tout comme son appareil de santé, figurent parmi les meilleurs de toute l’Amérique latine et le niveau de vie de Cuba est souvent supérieur à celui des îles voisines (Guadeloupe et Martinique exceptées, intégrées à la République française, ce qui vient contredire le catéchisme « décolonial »).

Aussi bien, les faiblesses de l’économie cubaine ne découlent pas seulement des tares du castrisme. Vindicatifs et revanchards, les États-Unis ont soumis Cuba au plus long embargo connu dans l’histoire de l’humanité (il est en place depuis 1962 et la crise des fusées). Cet isolement forcé crée sur l’ile toutes sortes de pénuries qui handicapent son économie. Elles frappent la population bien plus que le régime, qui tire en grande partie sa légitimité de l’hostilité américaine. Obama avait pourtant assoupli ce régime d’exception et rendu visite au gouvernement cubain. Mais Trump est revenu en arrière et Biden n’a rien changé. Les États-Unis craignent Cuba, qui ne les menace en rien, à la manière d’un éléphant qui a peur d’une souris.

Tout cela, et bien d’autres choses, plaide pour une ouverture de l’économie cubaine à l’initiative privée, encadrée par une régulation démocratiquement choisie, et pour la normalisation des relations entre La Havane et Washington. Mais deux idéologies obsolètes s’y opposent : le communisme antédiluvien du régime cubain, tout comme le libéralisme à front bas qui voue Cuba aux enfers. Voici pourquoi les Cubains s’éclairent depuis trois jours à la bougie.

Laurent Joffrin