Dakar : le miroir rayé de la démocratie

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 15/02/2024

Colère au Sénégal, après la décision du président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle de dix mois. Un coup d’État « constitutionnel  »?

Des manifestants barricadent une rue sur la Place de la Nation pour protester contre le report de l'élection présidentielle à Dakar, au Sénégal, le 09 février 2024. Cem Ozdel / Anadolu - Photo CEM OZDEL / Anadolu

Tout semblait pourtant parti dans le bon ordre au Sénégal. Macky Sall, le président sortant avait bien décidé de respecter la Constitution dès juillet dernier et de ne pas briguer un troisième mandat. Les figures les plus populaires de l’opposition, notamment Ousmane Sonko, le maire de Ziguinchor, leader du principal parti d’opposition, le PASTEF, ayant été emprisonnées et leur parti dissous, le terrain semblait dégagé pour permettre au candidat issu du parti présidentiel (l’Alliance pour la République ou APR) de gagner l’élection du 25 février, en l’occurrence Amadou Ba, l’actuel Premier ministre.


Mais les choses se compliquent très vite. D’une part, le Conseil Constitutionnel valide un grand nombre de candidats, déclenchant ainsi un risque non négligeable d’éparpillement des voix, au détriment du candidat officiel. D’autre part, il invalide la candidature de Karim Wade, fils de l’ancien président, prédécesseur de Macky Sall, pourtant soutenu par la puissante confrérie des Mourides, tout en validant la candidature de l’autre responsable de l’ex-PASTEF, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi emprisonné. Par le déclenchement d’une commission parlementaire, le Conseil Constitutionnel est alors mis en cause au prétexte d’une éventuelle corruption entrainant la partialité de certains juges.

En apparence, c’est sur ce fondement que Macky Sall a pris sa décision de reporter l’élection présidentielle à peine trois semaines avant sa tenue, le Conseil Constitutionnel ne pouvant prétendre valider la future élection sans avoir été, au préalable, blanchi de toute accusation.

Selon de nombreux avis, l’explication de cette décision tient à la crainte de Macky Sall de voir sombrer la candidature du candidat qu’il avait lui-même désigné et de perdre ainsi toute influence sur la future conduite du pays.

Depuis un quart de siècle en effet, la famille politique libérale à laquelle appartient Macky Sall comme son prédécesseur Abdoulaye Wade et son fils Karim, gouverne le pays.

Manifestations, trois morts, la rue s’enflamme

De là un enchainement des faits parfaitement cohérent. Macky Sall se prête au jeu de la commission suggérée par le PDS et Karim Wade, pour mettre en cause le Conseil Constitutionnel, alors même qu’elle peut sembler jouer contre son propre candidat. En contrepartie, le PDS se rallie officiellement à l’APR, ressoudant ainsi la famille libérale.

Le vote par l’Assemblée nationale sénégalaise, après que les députés de l’opposition ont été expulsés de l’hémicycle au prétexte du chaos occasionné par leurs protestations, est alors une formalité. Pour un report de l’élection au 15 décembre !

Un coup d’état institutionnel?

Le débat peut sembler juridique, mais il est d’abord politique, la question principale étant d’assurer au camp libéral la victoire sur l’opposition. Il n’est donc pas exclu que le candidat encore officiel, le Premier ministre Amadou Ba, se voie remplacé par un autre, faisant davantage l’unanimité entre les partis le soutenant et moins suspecté d’être « le candidat de la France ». I

l n’est pas non plus exclu que Macky Sall lui-même utilise à son profit avant le 15 décembre l’article 52 de la Constitution lui permettant d’assurer les pleins pouvoirs et de prolonger ainsi son mandat jusqu’à l’obtention d’une situation assurant la victoire à son camp. En ce sens, la dénonciation d’un « coup d’État constitutionnel » n’est pas dénuée de fondement.

Depuis la rue s’est enflammée, les universités sont en grève et ce n’est qu’un début.

Jean-Paul de Gaudemar

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique