Darmanin, le Rastignac de Tourcoing
Comme le personnage de Balzac, archétype de l’ambitieux, rien ne lui a été donné mais il a tout surmonté : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, habile et opportuniste, est l’un des mieux placés pour succéder à Elisabeth Borne. Voire viser plus haut
Pour les oppositions de droite et de gauche, il est l’un des adversaires les plus coriaces. Au gouvernement, il est l’un des rares atouts du président. Dans la macronie, il fait déjà figure de successeur possible. Gérald Darmanin, qui prend le risque du maintien musclé de l’ordre à Mayotte et tient avec maîtrise son rôle de premier flic de France, a survécu à plusieurs crises avant de s’imposer comme ministre indispensable, ce qui nourrit une ambition dont il ne voit pas la limite. C’est un Rastignac de Tourcoing, un’est qu’ Bel-Ami de Maupassant grandi chez les ch’tis.
Pour faire tout ce chemin, rien ne lui a été donné. Fils d’une concierge femme de ménage venue du Maghreb et d’un tenancier de bar aux origines maltaises, il n’a hérité d’aucun privilège de classe ou de savoir pour émerger des brumes nordistes. Sa chance ? L’opiniâtreté de sa famille qui joue à fond la carte de la méritocratie française et se saigne pour l’inscrire dans une fort bourgeoise école catholique.
Passionné de politique, il fait ses classes dans l’action locale, militant infatigable, élu obscur puis membre de cabinet. Il flirte d’abord avec l’extrême-droite, se frottant aux royalistes de l’Action Française, avant d’opter pour un chiraquisme RPR bon teint qui tire sur la droite. Industrieux et souple, il se fait élire maire de droite à Tourcoing par un électorat qu’on pouvait supposer voué à la gauche ou au Rassemblement national.
Quoique fort conservateur, accusé d’homophobie – il fut l’un des plus virulents contre le mariage pour tous, position qu’il reniera dix ans plus tard – il incarne une droite populaire, soucieuse d’ordre mais aussi de progrès social. Flexible dans ses amitiés, il se lie à Nicolas Sarkozy, puis à Xavier Bertrand et enfin à François Fillon, grimpant les échelons dans l’appareil UMP.
Fort de cette ascension, Darmanin devient Dar-malin. Prompt à saisir l’occasion qui passe, il délaisse son parti – et ses anciennes fidélités personnelles ou idéologiques – pour sauter dans le train macronien. Il y gagne une place au soleil dans la nouvelle majorité et se voit récompensé par un premier maroquin comme ministre du Budget. Avec Édouard Philippe et Bruno Le Maire, il garde le flanc droit de la macronie, tout en ayant soin de conserver sa fibre sociale et sa flexibilité politique.
Entre temps, il s’est tiré de justesse d’une mauvaise affaire de chantage sexuel. Accusé d’avoir échangé auprès d’une administrée un service contre des faveurs, ce qui en fait la cible de l’ire féministe, il se défend avec ardeur et la justice finit par le blanchir, ce qui sauve sa place au gouvernement.
Travailleur acharné, il gagne sur le tas une compétence réelle, garde un sang-froid à toute épreuve et un sens de la formule qui le rend redoutable dans les joutes médiatiques ou parlementaires.
À la différence de tant d’élus En Marche, ses origines mixtes et son enracinement nordiste le rendent imperméable, au reproche d’élitisme. Place Beauvau, il tient sa police et conquiert une stature de défenseur de l’ordre et de procureur du « séparatisme » islamiste. À l’instar de son ancien mentor Sarkozy, il voit le ministère de l’Intérieur, non comme un aboutissement, mais comme un tremplin.
À force d’intrigues, Rastignac avait fini ministre. Pour Darmanin, ce poste-là n’est qu’une étape.