D’Arras à Conflans-Sainte-Honorine, les profs face à la violence islamiste
Vendredi matin, à Arras, Dominique Bernard, 57 ans, professeur de lettres est mort, poignardé, dans les mêmes circonstances, trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty
La coïncidence frappe. Le 16 octobre marquera la commémoration, trois ans jour pour jour, de l’attentat contre Samuel Paty, professeur d’histoire géographie à Conflans-Sainte-Honorine. Et ce vendredi matin, au Lycée Gambetta à Arras, Dominique Bernard, 57 ans, professeur de lettres a été lui-même assassiné à coups de couteau vendredi dernier. Avec lui, David Verhaeghe, professeur de sport, blessé au visage et à la gorge ,et Jacques Davoli, chef d’équipe technique, grièvement blessé.
Les trois hommes ont tenté d’empêcher un ancien élève radicalisé, Mohammed Mogouchkov, 20 ans, de semer la mort.
Vêtu d’un pantalon noir, d’une veste grise et d’une capuche, les cheveux attachés en chignon, il a porté des coups de pied et de couteau aux trois hommes qui s’interposaient et l’ont empêché de s’attaquer aux élèves. Le suspect, de nationalité russe, musulmane originaire d’Ingouchie, a crié « Allah Akbar ». L’homme était fiché S. Son téléphone était sur écoute. La veille encore, il avait été contrôlé par des policiers du renseignement qui n’avaient rien décelé de suspect. Le frère du suspect a également été arrêté devant un autre établissement scolaire.
Trois ans déjà… Que s’est-il passé dans les collèges et les lycées depuis ? Il y a un avant et un après-Samuel Paty. L’ensemble des professeurs d’histoire-géographie, première cible des actes terroristes, le disent : ils sont inquiets. Mais dans le même temps, ils ont affuté leurs armes éducatives. Ils savent qu’ils sont en première ligne d’un combat de longue haleine. Trier le vrai du faux, tirer des fils, expliquer, être précis, attentifs aux mots, redoubler de pédagogie, expliquer chaque fois que nécessaire la différence entre connaissance et croyance : un combat contre l’obscur.
Une équipe nationale « laïcité » a été créée, bientôt renforcée par un millier de formateurs. Un réseau « Vigilance Collèges Lycées d’enseignants du secondaire » lutte contre les atteintes à la laïcité et à la liberté pédagogique dans les établissements du secondaire. Et des exercices d’alerte sont organisés pour parer à d’éventuelles attaques.
La moitié des enseignants reconnait néanmoins se censurer. Ils disent n’être ni assez formés ni assez épaulés par leur hiérarchie pour prendre le risque de devenir les cibles des réseaux sociaux. C’est bien de là que provient l’insécurité, davantage que de l’intérieur de la classe.
Les signalements sont en baisse, mais n’évitent pas les drames, comme celui d’Arras. La baisse des vocations, la nomination de davantage d’enseignants contractuels, moins préparés encore que les autres à faire face, aggravent la situation. Certains enseignants reconnaissent préférer contourner certains sujets. D’autres croient qu’il faut continuer à développer l’esprit critique des élèves, notamment sur le religieux. Ils savent la difficulté pour certains jeunes de dépasser les conflits de loyauté entre ce qu’ils entendent à la maison et au collège.
Comment leur apprendre à faire un pas de côté sans nier ce qu’ils sont ? Comment enseigner les sujets les plus sensibles en résonnance avec l’actualité ? Fallait-il parler dès cette semaine du conflit israélo-palestinien ? Dans un monde idéal, le temps de l’actualité et des réseaux ne devrait pas imposer on diktat à l’Éducation nationale et bouleverser le temps de l’enseignement. Mais le monde n’est pas idéal. Alors il faut faire avec le réel. Celui de la rue, pas de l’école.
Une enseignante le disait ce matin à la radio. « On ne peut pas demander à l’école de résoudre des problèmes que la société ne sait pas résoudre. Et de les résoudre à chaud », avant d’ajouter, « ce qui se joue c’est un apprentissage, une éducation, un dialogue et ça se fait souvent dans la curiosité de la part des élèves, l’appétence et à la fin des cours, la gratitude. Ils nous remercient aussi ».