Dati-Hidalgo : la bataille du Pacifique
Picrocholine polémique sur la scène parisienne entre Rachida Dati et la Maire de Paris à propos d’un voyage à Tahiti. Véritable scandale ou nouvel avatar du « Hidalgo bashing » ?
Choc des cheffes au Conseil de Paris : Rachida Dati sonne la charge contre un voyage aux antipodes effectué par la Maire de Paris, avec philippique soigneusement troussée, noms d’oiseau et sortie collective. Anne Hidalgo réplique en moquant le « Dati-show », répond pied à pied sans éviter une certaine outrance, remarquant qu’on a oublié de lui reprocher un voyage… à Auschwitz, mais surtout mettant au défi ses contempteurs de démonter l’illégalité de son voyage. Deux duellistes à l’égale détermination, de taille et d’estoc, qui ne reculent jamais devant les attaques.
D’où la tentation de la symétrie : les deux femmes qui s’affrontent n’auraient-elles pas de nombreux points communs ? Deux élues énergiques que leurs adversaires qualifient « d’autoritaires » – comme pour toutes les femmes en politique ou presque –, deux filles d’immigrés parvenues au sommet à force de travail et d’opiniâtreté, loin de la voie énarchique si fréquente dans les cercles dirigeants, deux vedettes de la politique habituées aux polémiques, qui ne fuient jamais le conflit, suscitent la détestation de leurs opposants, tombent, se relèvent et rendent coup pour coup. Deux responsables au bilan contesté qu’elles défendent en combattantes.
Au ministère de la Justice, Rachida Dati est accusée de zèle sécuritaire pour avoir instauré des peines planchers ou bien restreint « l’excuse de minorité » pour les jeunes délinquants. On oublie d’ajouter qu’elle a mené des réformes utiles dans l’organisation des tribunaux, ou bien qu’elle a créé deux postes dont la gauche ne peut guère se plaindre : le défenseur des droits, qui plaide pour les citoyens face à l’administration, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, chargé d’assurer le respect des droits des détenus.
Anne Hidalgo est sans cesse attaquée pour sa gestion de la ville de Paris, sur la propreté, l’endettement ou l’insécurité, mais on oublie de préciser qu’elle mène une politique sociale et environnementale conforme aux valeurs de la gauche et de l’écologie, ratifiée deux fois de suite par les électeurs parisiens.
L’escapade à Tahiti ? Une affaire de cornecul, en fait. Il était à coup sûr maladroit de ne pas reporter la visite à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie, compte tenu de l’actualité dramatique du Proche-Orient, d’autant que son utilité a été mise en doute et qu’elle se doublait d’un séjour privé. Mais à l’aune de cette rigueur soupçonneuse, combien de voyages officiels aux bénéfices incertains, aux discours convenus, aux serrages de mains furtifs, aux cocktails sans objet, passeraient le crible d’un examen méticuleux ? Saisie d’une soudaine intransigeance écologique, la droite municipale dénonce le bilan carbone de ce voyage vers les lagons. N’est-ce pas le cas pour tous les responsables qui se rendent dans les outremers ? Quant au séjour d’Anne Hidalgo auprès de sa fille qui vit sur une île du Pacifique, est-il vraiment pendable ? Qui, parmi les cadres ou les fonctionnaires, n’a jamais combiné dans son travail – et fort légalement – voyage professionnel et visite privée pour des raisons de commodité ?
Maladresse, sans doute. Scandale ? Il est monté en sauce par une opposition trop heureuse de l’occasion. Quant à Rachida Dati, son admirable fermeté déontologique ne l’a pas empêché d’être critiquée par la presse pour ses liens avec le groupe Engie, avec le Qatar ou encore avec l’Azerbaïdjan et, surtout, d’être mise en examen pour une rémunération de quelque 900 000 euros perçus auprès de Renault pour des prestations que certains jugent peu consistantes. Présomption d’innocence, dira-t-elle. Alors celle-ci vaut aussi pour Anne Hidalgo, d’autant que l’édile n’a jamais été inquiétée pour la moindre affaire d’argent.
Lot quotidien
À vrai dire, cette emphase dans la critique est le lot quotidien de la Maire de Paris. Jouant son jeu, l’opposition municipale ne laisse rien passer, ce qu’on ne peut guère lui reprocher. Elle dénonce le manque de propreté des rues, ce qui est légitime, elle stigmatise l’insécurité, qui progresse, ou encore la croissance de la dette de la Ville, qui est incontestable. Mais au fond, l’affaire est surtout question de jugement politique. La droite parisienne a enfourché deux chevaux de bataille qu’elle éperonne avec une fougueuse énergie.
Il s’agit d’abord de la réduction de la place de l’automobile dans la ville, au profit des autres moyens de transport, le vélo au premier chef. La droite défend la bagnole, la gauche des « mobilités plus vertes » : chacun se fera son idée sur la question, qui est à l’origine des campagnes les plus bruyantes contre Anne Hidalgo. Mais croit-on que Paris devait rester à la traîne de la mutation écologique ?
Il s’agit ensuite du logement social, que la Mairie cherche à disséminer dans Paris pour favoriser le mélange des classes sociales en dépit de la hausse incessante des prix du logement. Scandale, en effet : maire du 7e arrondissement, Rachida Dati connaît bien les réflexes de ses électeurs, fort rétifs à une politique urbaine qui tend à mettre en cause l’entre-soi en vigueur dans une partie de la bourgeoisie de la capitale. Surtout si les nouveaux habitants ainsi introduits dans ce cercle d’or ont le grave défaut de venir d’un pays du sud…
Ainsi la querelle droite-gauche partage l’électorat parisien, ce qui n’étonnera personne. Pour cette raison, on formulera une conclusion politiquement et clairement connotée, loin de toute objectivité : la droite municipale défend l’automobile, la tradition, l’homogénéité sociale ; la gauche s’efforce d’adapter Paris à l’impératif social et écologique. Tel est le fond du débat, où chacun se fraiera un chemin selon ses convictions.