Dati : sus aux « Beaux-Arts » !

par Emmanuel Tugny |  publié le 09/04/2024

À peine arrivée au ministère de la Culture, Rachida Dati prétend faire « populaire » en prenant des mesures populistes. Sa dernière cible : l’enseignement de l’art

Commission des affaires culturelles et de l éducation à l Assemblee Nationale. Audition de la ministre de la culture- Photo Xose Bouzas / Hans Lucas

Le réseau public français d’enseignement supérieur de l’art et du design, affranchi de l’influence universitaire, des tutelles territoriales et des exigences « d’application » au marché des formations privées, constitue un ensemble unique au monde. Il comprend 45 établissements répartis sur tout le territoire et placés sous la veille disciplinaire du ministère de la Culture et du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Liant théorie et pratique expérimentale, promouvant la mixité sociale, territorialement ancré et hospitalier aux apports d’étudiants étrangers (environ 12 % des quelque 12 000 étudiants des écoles), il offre un excellent taux d’insertion professionnelle à ses impétrants et a révélé la quasi-totalité des plasticiens français de renom et bon nombre d’artistes étrangers.

Alors pourquoi, le 19 mars dernier, à peine entrée en fonction, Rachida Dati l’a-t-elle daubé en évoquant des fermetures d’établissements, à la plus grande indignation du monde de la création et des personnels des écoles, en grève jusqu’au 31 mai ?

Conçu depuis les années 1970 pour substituer à l’enseignement mimétique des « académies » une formation à la recherche d’expressions plastiques inédites et pour faire pendant à l’enseignement « doctoral » dispensé par les facultés d’arts plastiques, le réseau des écoles d’art a dû affronter, au début des années 2000, une mue violente qui menace sa subsistance.

Le processus de Bologne – engagé en 1999, qui vise à la convergence des formations européennes d’enseignement supérieur- l’a contraint à se doter d’une autonomie de gestion et d’une architecture de formation calquées sur le modèle universitaire.

La nécessaire autonomie des unités d’enseignement supérieur a obligé la plupart des écoles à adopter le modèle de l’EPCC (Établissement public de coopération culturelle) et à se regrouper pour souscrire aux exigences financières du passage de la gestion municipale à la gestion autonome des contributions des mairies (majoritaires), des départements, des régions et de l’État, dont l’apport représente 5 à 10 % de leur budget global.

Ce dernier a progressivement réduit à l’étiage, depuis les années 2010, sa mission d’évaluation des enseignements artistiques, usé de l’alibi de l’autonomie pour se délester budgétairement sur des collectivités exsangues et confié à l’enseignement supérieur le soin de faire modèle aux yeux d’établissements qui ont toujours vu en lui un ennemi culturel. Ce désengagement a conduit nombre d’entre eux à vivre une situation de précarité intenable.

Le 19 mars, la ministre, tenante affichée de la « culture populaire », a porté un coup résolument populiste non seulement au modèle français d’enseignement de l’art, mais aussi à la création contemporaine et, pour tout dire, à l’autorité de son ministère.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie