De droite, Kamala ?

par Emmanuel Tugny |  publié le 18/10/2024

Le nuage d’encre craché par Trump sur sa rivale ne facilite pas la lecture de son identité politique véritable : Harris est une Rosa Luxemburg en comparaison de l’ex-président, mais son positionnement est-il pour autant en soi « de gauche » ?

Kamala Harris arrivant à l'aéroport de Green Bay (Wisconsin) le 17 octobre 2024. (Photo de Jacquelyn Martin / POOL / AFP)

Victimes d’une « maladie infantile du gauchisme yankee » ou lucides, en tout état de cause oublieux de la geste historique d’un parti démocrate qui n’aurait jamais emporté une élection présidentielle en leur donnant pleine satisfaction, les représentants de la gauche radicale américaine déplorent un virage à droite de Kamala Harris. La « tsarine des frontières » daubée par les trumpistes, trahirait à leurs yeux le progressisme ambitieux qu’elle était vouée à incarner urbi et orbi.

Qu’en est-il ?

Le choix par la candidate de son colistier semble attester une orientation à gauche. Le profil de Tim Waltz est sans conteste celui d’un homme attaché à des causes qui le rapprochent culturellement des idéaux des Lumières : éducation, culture, protection des minorités, défense du droit à l’avortement, action humanitaire, philanthropie, réinsertion des condamnés, modération économique, goût relatif des armes à feu…

En matière de politique migratoire, les MAGA ont eu beau jeu de dauber sur la mollesse d’une candidate qui semble manifester, quoi qu’elle en ait en campagne, peu de goût pour les mesures impitoyables préconisées par son rival. Elle sait, en ayant fait l’expérience depuis 2020, les bienfaits d’une immigration de travail raisonnée, notamment dans le champ de la transition écologique qu’ont entravée les mesures de limitation migratoire prises bon gré mal gré par Joe Biden.

Son discours inaugural à la Convention nationale du parti démocrate du mois d’août a certes joué sur la corde du patriotisme le plus fervent et parfois tutoyé un nationalisme yankee peu en rapport avec le relativisme des démocrates les plus progressistes, mais il a aussi été l’occasion de la manifestation d’un « patriotisme constitutionnel » que n’eût pas renié Jürgen Habermas, « cosmopolitiste » promoteur de la « démocratie radicale ».

Toute l’action au pouvoir de la candidate démocrate atteste que sa conception des relations internationales est bien davantage guidée par une volonté d’imposition de la logique démocratique que par celle, chauvine, de la « vis americana » en tant que telle.

Sur le plan social, Harris a certes mis de l’eau dans son vin « socialiste » en abandonnant dès 2020 son soutien à un système assuranciel public universel. Mais ce fut au regard, notamment, de la lente mais sûre plongée budgétaire d’un pays qui doit penser à préserver les marges nécessaires à la conduite de ses politiques fédérales.

En matière environnementale, elle a renoncé à telle ambition (notamment en matière de fracturation hydraulique et de généralisation de l’automobile électrique), mais toujours au nom de l’emploi.

En matière de défense et de sécurité, l’exercice du pouvoir l’a sans doute rendue moins pugnace vis-à-vis des forces de l’ordre et du complexe militaro-industriel, mais toujours au nom de la défense des territoires et des populations les plus fragiles et, à l’extérieur, en faveur des principes démocratiques outragés.

Une fois encore, en matière migratoire, ses intentions proclamées – qui n’excluent pas la construction du mur appelé de ses vœux par Trump en cas de vote unanime des chambres – privilégient une solution à l’européenne, à la fois garante de la sécurité civile et des intérêts des unités de production.

Sur le plan international, elle fait sienne l’irritation de l’administration Biden à l’encontre de Netanyahou et a ces derniers jours prôné un cessez-le-feu à Gaza et au Liban.

S’agissant de politique extérieure, rien ne permet, plus généralement, d’imaginer une Harris à la fois moins multilatéraliste (OTAN, ONU, UE, accord de Paris…) et moins protectionniste que Joe Biden, c’est-à-dire aussi radicalement souverainiste que son irresponsable et rodomont adversaire.

Enfin, la candidate métissée a su, au grand dam des « wokistes » qui attendaient sans doute trop de l’ex-procureur scrupuleusement attachée à la cohésion sociale, faire le lien entre défense des minorités et refus du séparatisme et des révisionnismes de tout poil.

De droite, Kamala Harris ? Qu’on en juge…

Emmanuel Tugny

Emmanuel Tugny