De Gaulle antisémite ? Une blague !

par Pierre Feydel |  publié le 09/12/2023

Une gaffe de Dominique Villepin, ex-ministre de Jacques Chirac, et voilà le gaullisme frappé d’antisémitisme. La correspondance de Charles de Gaulle avec David Ben Gourion, nous prouve le contraire

Le génral De Gaulle au musée de la Libération de Paris (musée du Général Leclerc - musée Jean-Moulin - Photographie Riccardo Milani / Hans Lucas

Parce que Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre de Jacques Chirac, a, lors de l’émission « Quotidien »  sur TMC, le 26 novembre dénoncé une domination financière pro-Israël sur « les médias et le monde l’art et de la musique », le voilà taxé d’antisémitisme et le gaullisme avec lui. Même si le propos était plus que maladroit, ayant l’air de faire allusion au « pouvoir juif »,’ antienne du complotisme antisémite des années 1930, c’est sans doute aller vite en besogne.

En juin 1967, le général de Gaulle, président de la République, reproche à Israël d’avoir déclenché la guerre des Six Jours en attaquant le premier. Le 27 novembre de la même année. Au cours d’une conférence de presse émaillée de ces formules qui façonnent sa légende, le chef de l’État revient sur le conflit israélo-arabe qui s’est achevé sur une victoire éclair de Tsahal. Il rappelle sa condamnation des attaquants. Il évoque les juifs , « un peuple d’élite sûr de lui et dominateur » sans oublier de préciser que la France n’acceptera jamais la mise en cause de l’existence de l’État juif.

La polémique se déchaîne dès le lendemain. Le général est carrément soupçonné d’antisémitisme. Dans ses mémoires, il regrettera ces propos, les mettant sur le compte de sa nature émotive, passionnée…

Le 6 décembre, David  Ben Gourion lui écrit une longue lettre dans laquelle il explique la position de son pays. Les deux hommes correspondent régulièrement. Ils échangeront quelque 27 missives. Le fondateur d’Israël, l’homme qui a proclamé l’indépendance du pays en 1948, qui a été deux fois Permier ministre, qui a fondé le Parti travailliste israélien, est alors à la retraite, même s’il reste membre de la Knesset.

Il garde une vraie estime pour le général, qui la lui rend bien. Ben Gourion écrit : « Il y avait dans votre discours quelques propos attristants et inquiétants… » Mais, il ajoute : « Je me suis abstenu d’adhérer à la critique injuste formulée par de nombreuses personnes en France, en Israël et dans d’autres pays qui , je pense, n’ont pas examiné vos propos avec tout le sérieux requis« . 

En fait, David Ben Gourion sait très bien que malgré « la politique arabe » de la France, Paris continue d’aider Istraël. Dassault a fourni des avions et l’assistance technique qui va avec. Les Français ont participé au développement du programme nucléaire militaire. Suit une longue évocation de l’histoire du peuple juif, d’Israël et des tentatives de Ben Gourion pour vivre en paix avec les Arabes. Il conclut : « Je n’avais aucun besoin de m’attendre à une amitié plus fidèle et plus sincère que la votre« .

De Gaulle répond le 30 décembre. Il précise : « Vous n’ignorez pas que je porte à vous-même une haute considération et que je garde un vivant souvenir de ce que furent, depuis dix ans, nos relations personnelles ». À propos de la formule sur le peuple d’élite, le général précise : « Jugement que certain affectent de tenir pour péjoratif, alors qu’il ne saurait y avoir rien de désobligeant à souligner le caractère grâce auquel ce peuple fort a pu survivre et rester lui-même après dix-neuf siècles passés dans des conditions inouïes« .

De Gaulle admire les Juifs, mais réclame , seulement à Israël, comme il le dit, une certaine « modération ». Un souhait prémonitoire.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire