L’Université, la Résistance, le Panthéon

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 06/12/2024

Marc Bloch (1886-1944) a passé une grande partie de sa carrière d’historien à l’Université de Strasbourg dont il devenu une des figures intellectuelles et combattantes les plus importantes. À l’occasion du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg, Emmanuel Macron a décidé qu’il serait transféré au Panthéon.

Marc Bloch, l’immense historien s’était engagé dans la Résistance. Il fut fusiller par les Allemands, 10 jours après le Débarquement. (photo : Linkedin de Pierre-Henri Vray)

Avec un peu d’humour, on pourrait sourire de cette tendance du président à multiplier les commémorations dont les « panthéonisations ». Sur les 83 personnalités ayant été transférées (76 hommes et 7 femmes), plus de la moitié (42) l’ont été pendant le Premier Empire. Pour les autres, soit moins d’une quarantaine en plus de deux siècles, Macron en a décidé six (Marc Bloch sera le septième) en sept ans de mandat. Belle performance donc, qui dépasse celle de François Hollande (quatre pendant son mandat), mais qui pousse naturellement à s’interroger sur ce que signifie cette tendance à se tourner si fortement vers nos glorieux ancêtres.

Pour autant ce choix est bon et même bienvenu. Car Marc Bloch n’est pas seulement un grand historien et un résistant courageux. On a beaucoup évoqué ces derniers jours son livre écrit presqu’à la hâte, L’étrange défaite et la dénonciation sous sa plume de la faillite intellectuelle et morale de la France en 1940 et de ses terribles conséquences. Si on l’a tant évoqué, c’est peut-être parce que cette faillite des élites ressemble fortement à ce que vit la France aujourd’hui, en particulier cette prévalence des intérêts privés sur l’intérêt général dont les « élites » politiques sont, hélas, la meilleure illustration. 

Mais il y a tant d’autres aspects de Marc Bloch qui méritent le respect et l’hommage à lui rendre. Son œuvre d’historien d’abord. Car depuis la naissance des Annales crées avec Lucien Febvre, on ne lit plus l’Histoire de la même manière, on ne pratique plus ni n’enseigne l’Histoire de la même manière. On a appris à en faire une Histoire globale, à en comprendre les ressorts politiques, économiques et sociaux. 

Ce spécialiste du Moyen-Âge et de l’Histoire rurale a su ainsi ouvrir les horizons d’un passé si ténébreux dont il reste souvent si peu de traces. D’où son enthousiasme pédagogique, lui qui, avant l’université, avait enseigné plusieurs années en lycée, pour lutter contre l’académisme et les méthodes surannés au profit de techniques plus actives, dans la lignée de ce que prônait Jean Zay, le ministre de l’Éducation du Front populaire qu’il va rejoindre au Panthéon.

Bloch fut aussi un magnifique combattant de trois guerres, la Première Guerre Mondiale, puis la Deuxième comme « le plus vieux capitaine » disait-il avec humour, puis de celle de l’ombre, la Résistance et la clandestinité dès 1942 quand l’Allemagne envahit la zone libre. Ce qui lui valut sa mort, si héroïque, si protectrice de son réseau. 

Juif, résistant, savant, enseignant convaincu, Marc Bloch avait tout pour être haï par les nazis. Il en a payé le prix dès la défaite de 1940 et les lois consécutives qui exclurent les professeurs juifs des universités. Il fut démis de son poste à la Sorbonne avant d’être rétabli, presque par miracle, pour sa conduite en temps de guerre, mais hors de Paris.

Il se tient chaque automne à l’Université de Strasbourg (où Marc Bloch enseigna de 1927 à 1936 puis à nouveau, brièvement, en 1941) une cérémonie toujours émouvante qui rappelle les heures sombres de l’université, lorsque l’Alsace était envahie. Elle fut alors obligée de se replier en Auvergne, à Clermont-Ferrand. Parmi les figures marquantes de cette époque singulière, celle de Marc Bloch y est toujours évoquée. Une reconnaissance désormais nationale, celle d’un enseignant universitaire qui crut à la science historique et au combat libérateur.

Jean-Paul de Gaudemar

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