« De ouf »
Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité.
L’époque a beau arborer l’apparat du singulier, se draper dans des plissés toujours plus étranges, chausser les coiffures les plus étonnamment irisées, charger la mule du maquillage à la façon des « pincetés » de la cour d’Henri III, rendre l’apparence ou la physique de la « soma » inadéquate à une nature honnie, contestée ou refoulée, elle demeure sans doute la plus normative, la plus féale de l’ordre et de la censure qui se soit rencontrée depuis l’entrée en décadence de l’empire bourgeois des années 1840-1900, daubé par Wilde ou par Rimbaud.
Le temps, attifé en bouffon, ne déteste rien tant – ni ne craint rien tant – que celui qui défie son ordre, cet ordre qui, pour être issu du défi de l’ancien, n’en est pas moins ordre et ordre « flambant neuf », c’est à dire ordre au carré.
C’est ainsi qu’imitant le « ouf » pour rejeter le « ouf », ouvertement admiratif du « ouf » d’antan et secrètement de la résistance de ce « ouf » qu’il combat et qui est son « ouf », il substitue à une nuée d’adjectifs et d’adverbes ce substantif issu de la traduction par euphonie (« ouf » est aussi une polysémique interjection qui dit rejet et plaisir) de « fou » en verlan, devenu adjectif, ou adverbe lorsqu’il est associé à la préposition « de » (valant pour « issu de, digne de »).
« Ouf » ou « de ouf » valent désormais pour « épatant », « formidable », « génial », « révoltant », « scandaleux », « terriblement », « vraiment », etc.
Cette contamination lexicale, qui place la figure du fou au cœur de tout jugement, nous dit-elle autre chose que la nostalgie d’une époque profondément normative pour celle, devenue mystérieuse, des fous authentiques ?
Nous dit-elle autre chose que cette « violente espérance » de leur retour sur la scène ennuyée, blasée, du « grand théâtre du monde » ?