De quoi Berger est-il l’espoir ?
Il n’est candidat à rien et pourtant il suscite un intérêt qui dépasse largement le champ social. Paradoxe neuf : l’aura de ce non-candidat à tout poste politique traduit le besoin d’une autre gauche.
Souvent rugueux, avares de confidences, dédiés à leur combat, les syndicalistes ne cherchent pas à toute force la lumière. Mais certains, par leur charisme, et surtout par leur action, attirent les projecteurs. Ce fut le cas naguère d’Henri Krasucki et d’Edmond Maire, ou encore celui de Bernard Thibault pendant la grande grève de 1995.
C’est aujourd’hui le sort de Laurent Berger, qui a conduit avec une grande maîtrise la protestation contre la réforme des retraites. Hommages quasi unanimes, commentaires élogieux, avalanche de réactions positives hier matin sur France Inter, prestige confirmé dans l’univers syndical, spéculations quelque peu fantasmatiques sur le rôle qu’il pourrait jouer en politique, Berger, tout en s’en défendant, est devenu une star du mouvement social et, plus largement du débat public.
Comme souvent, ce phénomène médiatique traduit une attente plus profonde de l’opinion. On peut la résumer en une formule : alors même qu’il annonce son retrait, Laurent Berger incarne l’espoir d’une autre gauche. Une gauche qui ne se résumerait pas aux outrances des plus radicaux, aux discours agressifs de LFI, aux tactiques d’obstruction et d’invective qui ont émaillé le débat parlementaire.
Au sein d’un camp déséquilibré, dominé par ses éléments les plus virulents, tout un pan de l’opinion espère voir renaître une force réformiste, démocratique, inventive, qui offre un jour la perspective d’une alternative progressiste au macronisme en disgrâce. Par son discours à la fois ferme et responsable, Berger a réveillé cette espérance.
Celle-ci commence à se manifester dans le champ politique. Au sein du PS, comme l’a montré le congrès de début d’année, la moitié des militants souhaitent rétablir l’autonomie socialiste et rééquilibrer l’union de la gauche. L’élection partielle de l’Ariège a vu la victoire d’une candidate socialiste opposée à la NUPES.
Fabien Roussel, réélu triomphalement à la tête du Parti communiste, avocat lui aussi d’une autre union, est un leader populaire. Les sociaux-démocrates se réunissent le 13 mai prochain pour ausculter la crise républicaine. Bernard Cazeneuve a lancé une « Convention » unitaire avec un écho certain et réunit les réformistes le 10 juin. Les voix de Carole Delga, de Nicolas Mayer-Rossignol, d’Hélène Geoffroy, de Stéphane Le Foll, ou de Michaël Delafosse sont écoutées.
Plusieurs clubs macronistes (tel le groupe Pollen), se détachent de la majorité pour revenir à gauche. Les interventions de François Hollande portent et il reste, en dépit des critiques de la gauche radicale, le plus populaire dans son camp. En un mot, la gauche réformiste reprend des couleurs. Elle a trouvé dans l’action un porte-parole en la personne de Laurent Berger, qui animera désormais son collectif dénommé « Le pouvoir de vivre ». Il n’est pas candidat et, conformément à la tradition de la CFDT, ne le sera sans doute pas. Mais cette non-candidature, dans un élan paradoxal, est un événement politique.