« Décivilisation » : le piège de l’outrance
Non, la France n’est pas revenue à la barbarie, Emmanuel Macron use d’exagération. Mais l’insécurité n’est pas qu’un sentiment
Après l’inflation monétaire, l’inflation verbale. « Il faut être intraitable sur le fond. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation ».
Nouveau mot, donc dans le vocabulaire présidentiel, « décivilisation », emprunté à l’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus qui en avait fait le titre d’un livre, mais aussi au philosophe Norbert Elias, nettement plus recommandable, mais qui décrivait la situation de l’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’est guère plus rassurant.
Le vocable « Décivilisation » évoque une régression majeure, une décadence dramatique qui nous ferait revenir de l’état civilisé à l’état sauvage, qui rappelle « l’ensauvagement » dénoncé par Marine Le Pen puis par Gérald Darmanin. En sommes-nous vraiment là ? Pour être franc, on en doute.
Mais c’est le piège de l’outrance : si l’on veut user de nuance, revenir à la réalité, poser un diagnostic rationnel, trouver le mot juste, on est aussitôt taxé d’aveuglement. Quoi ? Vous considérez donc que les atroces faits divers qui ont conduit le président à employer ce terme sont des incidents mineurs, des crimes ordinaires ! Vous êtes dans le déni, dans la litote coupable, dans le refus de prendre la mesure de la gravité de la situation !
Voilà bien la gauche laxiste, bobo, ignorante des réalités françaises !
Et pourtant, il faut le dire : le terme « décivilisation », qui a l’avantage de faire parler, de susciter l’émoi médiatique, de répondre à une opinion inquiète, est exagéré et trompeur. Non, la France n’est pas retombée dans la barbarie, dans l’anarchie générale, dans la dissolution de toutes les valeurs, la disparition de l’État et de la loi.
Rappelons quelques chiffres : le nombre des homicides est stable en France, autour de 1000 par an, chiffre plutôt bas dans les comparaisons internationales ; un récent sondage CSA pour CNews (chaîne peu laxiste en matière criminelle) montrait que 86% des Français se sentent en sécurité là où ils vivent. Globalement, la France est, en matière de délinquance, dans la moyenne européenne.
Évidemment ces chiffres, qui ne cadrent pas avec la thèse de « l’ensauvagement », ne sont pratiquement jamais cités dans les principaux médias, qui relatent les faits divers au jour le jour et prennent le plus souvent le parti de l’alarmisme. Et pourtant ils sont vrais…
C’est là qu’arrive le second piège, dans lequel tombe trop souvent une certaine gauche : il ne s’ensuit pas que la montée de la violence n’existe pas ou que certains crimes ne sont pas particulièrement barbares.
Au contraire : les tentatives d’homicide augmentent, les violences contre les personnes aussi, dans des proportions inquiétantes, les règlements de compte de plus en plus cruels se multiplient dans les grandes villes, le trafic de drogue devient souvent incontrôlable, etc. Il n’y a pas de « décivilisation », la France reste un pays relativement sûr, comme le reste de l’Europe. Mais l’insécurité est néanmoins un dossier majeur, d’autant plus qu’elle frappe en priorité les classes populaires, ce qui ajoute une injustice aux autres, et incite, au passage, ces électeurs à soutenir le Rassemblement national.
Toute opposition responsable doit ainsi tenir les deux bouts de la corde : refuser l’outrance populiste, serait-elle celle d’Emmanuel Macron, mais aussi proposer un plan de lutte sans faiblesse contre la délinquance, qui n’est pas un sentiment, mais une réalité qu’il faut combattre sans faiblesse.