Delogu est-il bête ?
Pour une partie de la gauche, il est interdit de rire des sorties aberrantes de Sébastien Delogu, député de la France insoumise, en raison de ses origines populaires. Est-ce vraiment respecter le peuple ?
Pétain ? Connais pas, mais « il doit être un peu raciste » (en effet) ; « Netanyahou finance le Hamas parce qu’il y a en Cisjordanie des gisements » (de pétrole, on suppose, pure fantasmagorie) ; le même Netanyahou s’en sert pour ruiner « les accords de 1948 » (en fait d’accords, il y a eu une guerre) ; les Palestiniens sont occupés « depuis des millénaires » (par les Israéliens ou par les Hittites ?).
Les sorties consternantes du député de Marseille ont émaillé la chronique médiatique depuis plus d’une semaine. Pour être franc, on avait du mal à s’en saisir, précisément parce que Delogu, issu des quartiers nord de la ville, n’a pas forcément bénéficié, comme d’autres, d’une éducation d’élite, d’écoles bien loties, d’une enfance dans un milieu cultivé. Attention au « mépris de classe » !
Et puis on a réfléchi. Dans la doxa d’extrême-gauche, Delogu est un « dominé » : interdit de se moquer, donc. Mais dans ce cas il faut « canceler » Coluche, les Deschiens, les Inconnus et quelques autres comiques qui se moquaient, justement, de personnages « dominés ». Et problème : élu député, nanti d’un bon salaire, d’une notoriété médiatique, de responsabilités politiques, Delogu est-il encore un « dominé » ?
Comme représentant du peuple, élu de la République, ne lui échoit-t-il certains devoirs (on ose le mot). Par exemple celui de juger des futures lois avec une certaine compétence et un minimum de profondeur historique, d’animer le débat public en s’appuyant sur des arguments rationnels et informés, celui de donner du peuple, dont il émane, une bonne image. Non celle d’un Trissotin, d’un énarque ou d’un éditorialiste toutologue, qui pérore sur tous les sujets ! Non, mais celle d’un élu travailleur, qui n’a peut-être pas été « aux écoles », mais qui se renseigne un tant soit peu sur les sujets qu’il aborde. Que penserait-on d’un médecin sans diplôme, d’un mécanicien qui ne connaît pas l’usage du tournevis, ou d’un rugbyman déconcerté par la forme ovale du ballon ? Quelle que soit leur origine sociale ? De même, s’il s’agit de la guerre du Proche-Orient, sujet de prédilection de Delogu, peut-on en juger sans posséder, pour le moins, quelques repères historiques et quelques références élémentaires ?
Considérations élitistes et bourgeoises aux yeux de ses défenseurs. Le savoir est un pouvoir, pensent-ils. Donc il opprime : vive l’ignorance ! Avec Delogu, le peuple est présent avec sa candeur originelle et, selon eux, avec son inculture revendiquée. Drôle de respect pour les classes populaires, tout de même ! Le mouvement ouvrier avait depuis longtemps surmonté l’obstacle : pour Karl Marx, « on n’a jamais rien bâti sur l’ignorance » ; pour les socialistes du début du 20ème siècle, il était bon que leur leader, Jean Jaurès, même s’il n’était pas ouvrier, fût aussi normalien, sorti premier de l’agrégation devant Bergson, ou que Blum fût un fin lettré, conseiller d’État auteur de décision qu’on commente encore aujourd’hui. Ils en tiraient de la fierté. Quant aux ouvriers, le PCF et la SFIO, partis populaires, s’employaient sans cesse, par le truchement de ses écoles du soir, à les doter des armes intellectuelles qui ne les laisseraient pas démunis face aux arguments de la bourgeoisie. Le peuple, dans l’esprit de la gauche, devait révérer d’autant plus le savoir qu’il en avait été privé et qu’il pouvait s’en saisir comme d’une arme dans le combat politique.
Rien de tel avec Delogu. Encouragé, loué, défendu par ses camarades de secte, Delogu, pris en flagrant délit d’ignorance abyssale, continue à commenter de manière péremptoire la situation au Proche-Orient. « Les cons, disait Audiard, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Si bien qu’on se demande, à la fin des fins, si LFI, voyant dans le peuple une masse de manoeuvre inculte et manipulable, ne se contrefiche pas du savoir et de la vérité, privilégiant le militantisme à front bas et l’obéissance aux leaders. Et s’il ne promeut pas Delogu par simple mépris des plus défavorisés.