Delphine Batho : « Mélenchon est en perdition »

par Valérie Lecasble |  publié le 17/01/2025

La députée Génération Écologie des Deux-Sèvres est la seule de son groupe à ne pas avoir voté la motion de censure contre le gouvernement Bayrou, convaincue qu’une censure sans alternative mène au chaos.

Delphine Batho, leader du parti Génération Ecologie et députée. Elle a été secrétaire nationale du PS puis porte-parole d'Hollande, pour la présidentielle de 2012. Elle quitte la NUPES en octobre 2023, à la suite du refus de Mélenchon de qualifier le Hamas d'organisation terroriste. (Photo Nancy Wangue MOUSSISSA / AFP)

Vous êtes la seule des 38 députés Verts à avoir refusé de voter la censure…

Oui. Évidemment, je ne me reconnais pas du tout dans le discours de politique générale de François Bayrou qui ne répond pas aux attentes, ni en matière de justice sociale, ni de ruralité, et encore moins d’écologie. Je suis en totale opposition avec ses orientations. Mais je refuse le chaos institutionnel permanent qui aurait des conséquences graves pour les plus vulnérables.
On ne peut pas se permettre le luxe de mettre le pays à l’arrêt dans le contexte géopolitique de guerre hybride et informationnelle actuelle lourd de menace pour la sécurité nationale : un avion français engagé pour l’OTAN vient encore d’être ciblé par la Russie en mer Baltique.
Surtout, l’incapacité de la démocratie à fonctionner fait le lit du trumpisme en France et ne peut que donner des arguments aux promoteurs d’un régime autoritaire.

Sandrine Rousseau dit qu’elle est arrivée en retard ?

Cela peut arriver.

Vous sentez-vous isolée dans votre groupe Écologiste et Social dont on dit que l’appellation témoigne d’une dérive politique ?

Non c’est une bonne appellation. Je ne me sens pas isolée.
Mais les écologistes et la gauche doivent sortir d’une stratégie qui est dans une impasse sauf à vouloir comme Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen d’une présidentielle anticipée qui se traduirait par une victoire de l’extrême-droite.
La période actuelle est dominée par des arrières pensées et des calculs liés à la présidentielle de 2027 qui empêchent la gauche et les écologistes de faire le travail de fond indispensable pour proposer un programme de gouvernement crédible.
Le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) qui repose sur une hypothèse de croissance irréaliste de 2,5%, n’est pas sérieux. Ce n’est pas un programme de transformation solide pour gouverner. Nous sommes dans un moment où ce n’est pas la tactique qui doit prévaloir, mais le travail sur le fond pour construire une majorité alternative.
Une censure sans une majorité alternative prête à gouverner fait le jeu du chaos et donc de nos adversaires.

Cinq députés en rupture avec LFI (Clémentine Autain, Alexis Corbière, François Ruffin, Danielle Simonnet et Hendrik Davi) ont rejoint vos rangs. Cela fausse-t-il votre ligne écologiste ?

Non. Je suis pour ma part membre de Génération Écologie. Chacun prend ses décisions librement.

Comprenez-vous l’attitude de Marine Tondelier qui va négocier, tout en ne trouvant jamais la moindre avancée ?

Nous sommes dans une période d’offensive et de régressions sans précédent, et mêmes dramatiques, contre l’écologie. Les écologistes doivent retrouver une boussole et se faire entendre pour peser sur les décisions. Cela ne peut advenir si l’on réduit l’expression publique des écologistes aux considérations partidaires internes au NFP, au lieu de parler haut et fort sur toutes les catastrophes liées au réchauffement climatique comme les feux à Los Angeles, le cyclone à Mayotte, les inondations à Valence. Ne pas donner la priorité à ces sujets et la nécessité d’une résilience face au chaos climatique rend les écologistes inaudibles. La période exige de parler du fond plus que de politique politicienne dont les Français sont plus que lassés.

Les échéances électorales, le Congrès des Verts en 2025, expliquent-ils cette approche tactique ?

N’étant pas membre des Verts, je me garderai bien de ce type de lecture. La place que les écologistes ont occupée dans la constitution du NFP et le rôle utile qu’ils ont joué lors de la dissolution, en particulier dans l’entre-deux tours en faveur du barrage républicain contre le Rassemblement National, ne doit pas masquer l’échec des élections européennes qui se sont traduites par un recul historique des Verts, à 5,5 % des voix.
L’enjeu est de faire ré-exister l’écologie et qu’elle trouve une dynamique sur ses propres combats.

La priorité est le financement du parti plutôt que la défense de la cause ?

Le résultat des élections législatives, avec une trentaine de députés écologistes, ne constitue pas à mes yeux une victoire. Ce succès très relatif ne peut pas servir à camoufler la nécessité de reconstruire une écologie politique, qui peut certes nouer des alliances, mais doit surtout avoir la capacité d’exister et de peser par elle-même. Sinon, le pouvoir a les mains libres pour les coupes budgétaires des crédits en faveur de l’écologie comme pour le Fonds vert, MaPrimeRenov’, le plan vélo, ou encore pour une politique pro-pesticides et des reculs inédits du droit de l’environnement. Les attaques qui se multiplient contre les agences de l’environnement comme l’ADEME et l’Office français de la biodiversité sont incroyables. Nous avons besoin d’une écologie capable de peser dans un rapport de forces pour protéger des enjeux vitaux pour le pays.

Pas facile quand on a La France Insoumise comme principal allié…

Jean-Luc Mélenchon est en perdition. Quand on en est à menacer et à avoir des propos violents, c’est un comportement de petite frappe, pas de dirigeant d’un parti politique.
Pour ma part, je n’ai jamais été sous la tutelle de LFI. Il y a urgence à ce que les écologistes s’en émancipent.
Le PS a souhaité faire une pédagogie politique de sa position de non-censure pour obtenir des bougés. Les écologistes ont fait le bon choix de participer aux discussions, mais ils auraient dû aller au bout de cette logique et obtenir eux-aussi des bougés sur les questions écologiques.

En fait, la cause écologiste est sacrifiée au nom de la tactique politique ?

Le « backlash » (retour en arrière) contre l’écologie a des causes profondes. Nous sommes sur une trajectoire d’effondrement de nos conditions de vie qui s’accélère. Cela nourrit une angoisse existentielle qui est à l’arrière-plan de la situation politique et qui alimente des mécanismes de déni. À ce mécanisme classique de refoulement bien connu, s’ajoutent les faiblesses de l’écologie politique et sa difficulté à s’adresser aux catégories populaires, aux ouvriers, aux habitants des territoires ruraux. Nous assistons par exemple à un hold-up des firmes de l’agro-chimie pour transformer les revendications de la colère agricole. Les agriculteurs réclament une hausse de leurs revenus et un coup d’arrêt à la concurrence déloyale dans les échanges commerciaux. Aucune réponse n’a été apportée à ces revendications de bon sens. Par facilité, le gouvernement et la FNSEA en ont profité pour orienter les réponses vers la grande régression écologique.
Les écologistes doivent se prendre en mains, parler par eux-mêmes et porter leurs propres propositions. Ils doivent faire un travail de fond qui suppose de ne pas s’effacer derrière les alliances. Car dans ces situations-là, ils ne parviennent pas à faire entendre leurs voix.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique