Démocraties : des bouffons au pouvoir

par Sandrine Treiner |  publié le 25/11/2023

Trump aux États-Unis, Milei en Argentine, Martelly en Haïti, Zelensky en Ukraine… la société du spectacle est devenue un accélérateur de particules en matière d’éclosion politique. À qui la faute ?

Donald Trump, lors de la cérémonie des Emmy Awards en 2006. DR. The Conversation

Faut-il s’étonner de l’élection à la tête de ce grand pays de l’Amérique du Sud qu’est l’Argentine de Javier Milei, économiste de formation parvenu à la notoriété par son habilité à brutaliser le débat public sur les plateaux de télévision ? À une époque ou des personnalités comme Kim Kardachian – Népo Baby devenue influenceuse – ne doivent leur célébrité qu’à leur nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux. Célèbre parce célèbre…

Le mouvement a commencé en 1981 avec le cinéma de série B et l’élection comme gouverneur de Californie en 1966 puis à la présidence des États-Unis de Ronald Reagan. Élu et réélu ! Encore pourrait-on objecter qu’entre les deux dates, ce pâle comédien avait eu le temps d’apprendre quelques ressorts du métier. Comme Joseph Estrada, aux Philippines, vedette de comédie avant de devenir maire puis président en 1998.  

Ce n’était évidemment pas le cas pour Donald Trump lorsque l’Amérique le vit apparaître dans les radars politiques. Sans aucune expérience certes, mais doté d’un matelas financier imposant grâce à l’immobilier. Et connu du grand public pour avoir animé une émission de télé-réalité à succès sur la chaine NBC.

Autre continent, autre spectacle. En Haïti, en 2011, Michel Martelly, chanteur populaire, musicien et compositeur – surnommé , Sweet Micky (« Micky le doux ») ou Tet Kalé (« Crâne rasé » en créole)-  devient président d’un pays tragiquement accablé par la violence, la corruption et les catastrophes naturelles. En 2015, Jimmy Morales, acteur comique et humoriste prend la tête du Guatemala.

« Ni corrompu, ni voleur », son slogan, entré en politique quinze ans auparavant par la porte d’une élection municipale, il s’est fait connaître pour avoir été une vedette de la télévision avec son frère Sammy grâce à un programme nommé Moralejas ( « La morale »)… Mauvais titre. Ce qui était apparu comme un gage d’honnêteté – l’absence précisément d’historique politique –  fait long feu.

Il échappe de peu à des mandats d’arrêt durant sa présidence pour des financements illicites de sa campagne, une prime de risque mensuelle de plus de 7000 dollars payée par l’armée et des plaintes pour agression sexuelle.Comme pour Morales, l’acteur Joseph Estradas, élu président des Philippines en 1998, sera contraint de quitter le pouvoir pour fait de corruption. Le contre-exemple à ce stade reste évidemment le président ukrainien, Volodymir Zelensky,.

Ancien humoriste – au goût parfois douteux – acteur, scénariste, réalisateur et producteur de télévision, il devient il est vrai célèbre par son rôle dans une série télévisée, Serviteur du peuple. Créateur d’un mouvement politique du nom de la série, il se voit propulser au-devant de la scène politique en 2019 avant d’être élu. On connaît la suite. Volodymir Zelensky se révèle une autorité politique hors du commun. Aujourd’hui, tout le monde a oublié le clown pour ne voir qu’un résistant, en tee-shirt kaki qui tient tête à Vladimir Poutine depuis le 24 février 2021.

Avec l’Argentin Javier Mihei, on ne risque pas grand-chose de ce genre. Malgré ses rouflaquettes, son sourire de bouffon et ses sorties au nom de « La libertad Puta Madre ! », l’erreur toutefois serait prendre à la légère. Le bateleur de planches à la télévision défend un programme ultralibéral qui apparaît d’une grande brutalité.

Acteurs, chanteurs, comédiens… à la tête de grands états, sans aucune expérience politique, incapables de gérer une crise économique, mais habilités à déclencher une guerre ? La seule question valide est de savoir pourquoi les électeurs sont de plus en plus tentés par des aventures qui défient a priori le sens commun. Et ses conséquences.

Si, sous toutes les latitudes, la classe politique porte la lourde responsabilité d’avoir lassé, déçu, voire trahi les aspirations des peuples, l’incompétence et l’outrance comme dérivatifs à la fatigue démocratique mènent assurément au pire. Est-ce les saltimbanques qui se rapprochent des politiques ou les politiques qui ont galvaudé leur plus hautes fonctions ? Faut-il s’y résigner ?

On aurait tort aussi de se rassurer en se disant qu’en France, pays de tradition politique séculaire, la chose n’est pas possible. Au risque de se trouver un jour avec Cyril Hanouna sur des affiches électorales. Touche pas à mon Président !

Sandrine Treiner

Editorialiste culture