Dette de la France : à qui la faute ?
Pays le plus endetté d’Europe, la France risque maintenant une sanction des marchés. LeJournal.info a mené son enquête : contrairement à l’idée reçue, les coupables sont plutôt à droite. Par Valérie Lecasble, Laurent Joffrin et Yann Le Bechec
Mardi 26 mars, le gouvernement annoncera un déficit au-delà des 5 % en 2023, bien supérieur aux prévisions. Du coup, le 26 avril, les agences de notation pourraient dégrader la note de la France, disqualifiée par le montant record de sa dette, ce qui risque de renchérir le coût des intérêts à venir. La faute à qui ? Nous avons passé en revue les trois derniers quinquennats : un bon élève, François Hollande, un cancre, Nicolas Sarkozy. Quant à Emmanuel Macron il file un mauvais coton.
Nicolas Sarkozy : + 639 milliards €
La dette est l’ardoise que la France laisse à ses enfants, un indicateur clé de la bonne gestion d’un pays. En 2007, quand Nicolas Sarkozy est élu, elle est contenue à 1 253 milliards €, soit 64,5 % du Produit Intérieur Brut (PIB), la même proportion que celle de l’Allemagne. C’est le bon temps du couple franco-allemand performant.
Mais au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la France décroche. En 2012, son endettement a déjà grimpé de 26,1 points à 90,6 % du PIB contre 81,1 % en Allemagne. Dix points séparent les deux pays.
Comment la France a-t-elle perdu autant de compétitivité en aussi peu de temps ? Dès son arrivée à l’Élysée, le président français lance un plan de relance de l’économie de 35 milliards d’euros. À cette hausse inopinée des dépenses publiques se greffe une année plus tard la crise dite des « subprimes » où l’incapacité des emprunteurs américains de rembourser leurs crédits immobiliers déclenche la faillite de la banque Lehmann Brothers qui menace d’entraîner dans son sillage les banques du monde entier via une gigantesque crise financière internationale.
Afin d’éviter une nouvelle grande récession comme celle de 1929, Nicolas Sarkozy convainc l’Europe d’ouvrir les vannes et de sauver les banques. Pari tenu, l’État français vole au secours de ses banques, mais les renfloue sans aucune contrepartie.
Ainsi, la France évite le drame, mais en paye le prix fort. Bien joué à court terme, ruineux sur la durée ,alors que d’autres pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni ont obtenu le même résultat, mais en s’endettant moins que nous.
François Hollande : + 366,7 milliards €
Il a fait de la réduction des déficits et de la dette la priorité de sa campagne présidentielle et annonce pour y parvenir une augmentation de l’impôt sur le revenu, avec jusqu’en 2015 une taxe allant jusqu’à 75 % pour les Français qui gagnent plus d’1 million €. L’intention est louable et en ligne avec la doctrine de redistribution de la gauche : il s’agit d’assainir les comptes du pays après le laisser-aller du quinquennat précédent tout en réduisant les inégalités.
Cette politique porte ses fruits : à la fin du quinquennat de François Hollande en 2017, la dette de la France a augmenté de « seulement » 366,7 milliards €, soit 7,8 points de PIB, un résultat presque quatre fois meilleur que celui de Nicolas Sarkozy et pas loin de deux fois meilleur que celui d’Emmanuel Macron à ce jour.
Efficace pour les finances de l’État, la politique de François Hollande lui coûte cher auprès de l’opinion. Ponctionné par la hausse des impôts, le pouvoir d’achat du contribuable français se réduit. Les plus riches quittent la France et cèdent leurs biens immobiliers dont les prix reculent. La demande ne suffit plus à soutenir la croissance, le chômage augmente…
François Hollande décide en 2014 d’un changement de politique en nommant Manuel Valls à Matignon et lance une stratégie dite de l’offre à destination des entreprises : avec la baisse de leurs charges sociales, la croissance va repartir et le chômage diminuer, mais – en raison de l’inertie de l’économie – seulement lors du quinquennat… d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron : + 830 milliards €
Secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’Économie sous François Hollande, Emmanuel Macron s’est convaincu que la hausse des impôts n’est pas la solution. Il mise sur la réduction des dépenses publiques, la seule pour se mettre à l’abri des soubresauts de la conjoncture. Ainsi, promet-il qu’avec lui, la « Réforme de l’État » s’attaquera aux 56,4 % du PIB de dépenses publiques qui plombent la croissance. Avec lui, les Français veulent y croire.
Las ! N’ayant nommé que des énarques pour diriger les cabinets des ministres, il déchante : les chefs de l’administration procrastinent, protègent leurs fonctionnaires et ne coupent guère les dépenses.
Si l’on ajoute que l’Etat reprend la dette du réseau de la SNCF et fait des chèques pour calmer la colère des gilets jaunes, ses poches ont été en partie vidées quand intervient la pandémie du Covid. Avec le confinement, les bourses s’effondrent, les taux d’intérêt grimpent, des mesures urgentes de soutien aux entreprises sont prises, le chômage partiel est octroyé à ceux qui en font la demande.
Le fameux « quoi qu’il en coûte » permet aux Français de traverser la crise sans que l’activité s’effondre, mais son coût est faramineux, environ 110 milliards €. Avec le bouclier tarifaire pour l’électricité, l’addition grimpe à… 260 M€ ! Une « folie » qui nous relègue en queue de peloton de l’Europe au moment où la hausse des taux renchérit le coût de remboursement de la dette.
Voilà comment, de 2007 à 2024, la dette de la France s’est envolée de 1 253 milliards € à… 3 090 milliards €. Et de 64,5 % à… 111,7 % du PIB ! Un désastre où les crises ont parfois bon dos. Pendant ces mêmes dix-sept années, la dette de l’Allemagne est, elle, restée quasi-stable : 65,9 % du PIB fin 2023.
Valérie Lecasble et Laurent Joffrin
Graphisme: Yann Le Bechec pour LeJournal.info