Deux poisons dans l’école française

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 11/10/2024

Au moment où on rend hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard, les atteintes à la laïcité et l’antisémitisme restent à un niveau angoissant au sein du système scolaire.

Dessin de Bendak

Les chiffres sont glaçants : 1670 actes antisémites déjà enregistrés pour l’année scolaire 2023-2024 contre « seulement » 400 l’année précédente. « Une hausse effroyable » constate Anne Genetet, la nouvelle ministre de l’Éducation en ce début du mois d’octobre. En mars dernier, c’était sa prédécesseur, Nicole Belloubet qui déplorait 590 atteintes à la laïcité (qui ne sont pas forcément antisémites) pour le seul mois de décembre 2023 et notamment « une hausse inquiétante des contestations de certains contenus liés à des questions sur les origines du monde ou sur les faits religieux ». Ce 7 octobre, une enseignante a été giflée par une élève qui refusait d’ôter son voile dans un lycée de Tourcoing. « Frapper un professeur, c’est frapper la République », a lancé madame Genetet, condamnant un acte « qui défie notre école laïque ».

La minute de silence, organisée ce lundi 14 octobre en hommage aux deux professeurs Paty et Bernard assassinés par des terroristes islamistes, sera suivie par un temps d’échange et de réflexion avec les élèves. Un moment sûrement utile, mais est-il à la mesure des passions tristes qui se sont emparées de trop de jeunes ? Depuis le 7 octobre 2023, les tensions ont monté, dans la rue comme à l’école. Les réflexes identitaires s’exacerbent. Les gouvernements successifs s’efforcent de calmer le chaudron scolaire en se déclarant « intransigeants » avec les coupables. Les déclarations d’« extrême fermeté » s’égrènent au même rythme que les ministres. Il semble, hélas, que cela soit un peu en vain.

Car l’école est à la fois le réceptacle et le creuset des haines qui minent notre société. Il en va manifestement ainsi de l’antisémitisme. Avec une hausse de 192% des faits antisémites en France sur un an, décomptés par la DNRT (Direction nationale du renseignement territorial), il devient de plus en plus difficile de lutter contre la contagion qui touche les plus jeunes générations. La DRNT craint « une nouvelle année record », relevant que 63% des actes antireligieux sont antisémites contre 35% en 2023. Elle note aussi un « rajeunissement » des auteurs : les faits commis en milieu scolaire ont plus que doublé. A l’image de certaines catégories de la population, des élèves sont en proie à des accès de haine et d’intolérance, ces actes se manifestant de plus en plus ouvertement, de plus en plus fréquemment et de plus en plus précocement.

Le ministère de l’Éducation nationale dénombre au moins 4200 atteintes à la laïcité depuis septembre 2023, contre 2000 en 2022. Si les chiffres du deuxième trimestre 2024 sont en baisse, après les pics suivant l’ouverture du conflit au Proche-Orient et – déjà…- les hommages à Samuel Paty et Dominique Bernard, on remarque pour la première fois que la catégorie la plus signalée est le prosélytisme. Et les enfants sont de plus en plus concernés : au premier trimestre, 28% des atteintes ont eu lieu dans le primaire, soit un doublement en trois mois. Si l’abaya semble avoir peu à peu disparu, le problème des tenues vestimentaires est toujours présent. Les violences de l’élève de Tourcoing contre une enseignante qui lui demandait d’ôter son voile témoignent de l’ambiance qui peut régner dans certains établissements. Un rien suffit parfois à enflammer les esprits. On se rappelle la polémique déclenchée fin 2023 par des élèves de sixième dans le collège Jacques-Cartier de Issou (Yvelines) parce qu’une enseignante avait présenté pendant un cours d’art un tableau du 17ème où figuraient des femmes dénudées. L’enseignante avait ensuite été accusée de propos racistes. Le ministère a eu toutes les peines du monde à apaiser la situation.

Il ne faut certes pas généraliser la mauvaise ambiance qui règne dans certains établissements scolaires. Mais les nerfs sont à vif. Et les parents inquiets. Notamment dans les familles juives qui voient leurs enfants victimes d’antisémitisme. Certains font le choix de quitter l’enseignement public. Selon le FSJU (Fonds social juif unifié), 32 classes supplémentaires ont ouvert en cette rentrée au sein des écoles juives sous contrat, contre 22 en 2023. Ces établissements sont un refuge pour des élèves qui ne se sentent plus en sécurité dans le climat actuel.

Face à la montée de l’antisémitisme et des atteintes à la laïcité, les pouvoirs publics doivent faire beaucoup mieux, en renforçant nettement leur action au sein des établissements scolaires. Pour prendre le mal à sa racine. Pour empêcher sa propagation. Et pour que Samuel Paty et Dominique Bernard ne soient pas morts pour rien…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse