Dilemme autoroutier

par Laurent Joffrin |  publié le 22/10/2023

Faut-il interrompre la construction de l’autoroute A69, contestée par les militants de la planète ? La réponse est plus complexe qu’il y paraît.

Laurent Joffrin

Dans le principe, les écologistes ont raison, évidemment. La construction du tronçon d’autoroute destiné à relier Castres et Toulouse, objet d’une manifestation ce week-end, contredit de toute évidence les objectifs généraux que la France a définis pour limiter le dérèglement climatique et protéger l’environnement.

La nouvelle autoroute permet de gagner vingt minutes sur un trajet d’une heure et quart, certes. Mais elle coûte très cher, suppose l’abattage d’une tripotée d’arbres et la couverture en bitume de plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles. Tout cela pour une poignée de minutes, sans qu’on soit certain de son effet bénéfique sur l’économie du département du Tarn. Elle a enfin le défaut d’imposer aux automobilistes un péage conséquent, l’un des plus chers de France au kilomètre parcouru.

Tels sont les arguments – difficiles à réfuter – des opposants, qui stigmatisent un « projet du siècle dernier », incompatible avec la lutte pour le climat et pour une planète vivable.

Seulement voilà : la ville de Castres et son voisinage vivent dans le sentiment fort d’être un territoire délaissé, enclavé, victime d’une injustice qui a consisté à les laisser en dehors de toute liaison avec le reste de la région et du pays par TGV ou par autoroute. Les élus du Tarn sont dans leur grande majorité favorables au projet. Les études menées par l’État ont toutes conclu à la nécessité du projet. Les recours administratifs ont débouché sur un feu vert en faveur de la construction du tronçon. Les travaux sont en cours et rien, sur le plan légal ou administratif, ne s’oppose plus à leur réalisation. Alors ? 

Alors deux principes s’affrontent dans cette affaire. L’impératif écologique d’un côté, la réalité sociale et politique de l’autre. L’abandon du projet ménagerait l’avenir à long terme, celui d’une société qui doit changer son mode de vie pour léguer aux générations futures une planète vivable. Mais dans le présent, dans la vie politique réelle, en mécontentant les électeurs du Tarn, en donnant le sentiment de laisser tomber un territoire maltraité, il irait à l’inverse de la volonté populaire. Il handicaperait aussi la gauche qui gouverne le département et la région. Or cette gauche, sur nombre de dossiers, mène une politique dont chacun reconnaît qu’elle à la fois sociale et écologique. Son affaiblissement profiterait ainsi à une droite et à une extrême-droite pour qui l’avenir de la planète est une préoccupation bien plus lointaine, et qui se situe à la limite du climato-scepticisme.

Voilà le vrai dilemme dans lequel se débattent les écologistes qui luttent contre l’autoroute, et les socialistes qui exercent les responsabilités locales et régionales. Les moralistes choisiront l’affrontement au nom d’une certain pureté militante ; les réalistes argueront qu’une concession immédiate dans le dossier de l’autoroute leur permettra de poursuivre leur politique, soucieuse à la fois de la prospérité régionale et des objectifs climatiques. Ainsi va l’idéal écologiste en démocratie : il doit faire de la politique.

Laurent Joffrin