Dilemme en mer Rouge

publié le 13/01/2024

Faut-il laisser les Houthis liés à l’Iran bombarder les navires qui passent en mer Rouge ? Ou bien s’opposer militairement à ces actions qui menacent gravement le commerce mondial ? Sachant que ces adversaires ne respectent que la force. Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

Au moment où l’interminable remaniement gouvernemental occupait les antennes – à défaut des esprits -, les forces américaines et britanniques menaient plus de soixante-dix raids au Yémen, ciblant les positions des Houthis, ce groupe armé soutenu par l’Iran. Elles visaient notamment les infrastructures à partir desquelles ont été lancées quelque vingt-huit attaques contre des navires passant dans le détroit de Bab-el-Mandeb, au sud de la mer Rouge.

Les Houthis contrôlent une large part du territoire du Yémen, un pays ravagé par une guerre civile de près de dix ans, à laquelle l’Arabie Saoudite s’est mêlée sans résultat probant sur le terrain, tant ce groupe dispose, grâce à l’aide massive de Téhéran, d’un arsenal militaire qui lui a permis de prendre le contrôle de la capitale et de chasser les autorités officielles. Depuis le 7 octobre, les Houthis ont rejoint « l’axe de la résistance » dirigé par Téhéran, avec le Hamas, le Hezbollah et les milices chiites en Irak et en Syrie. Il a épousé la cause de Gaza et s’applique à compliquer la circulation des navires en mer Rouge, essayant de bloquer le détroit qui relie l’Europe et l’Asie, c’est-à-dire le point de passage le plus essentiel du commerce international.

Au nom de la liberté de navigation, les forces américaines et britanniques sont intervenues, invoquant le principe de la légitime défense, puisque leurs bateaux sont spécifiquement visés par les missiles tirés du territoire du Yémen. Il s’agit de réduire les capacités d’action des Houthis et de les dissuader de poursuivre ces attaques, qui conduiraient plusieurs armateurs à délaisser la mer Rouge, entraînant la hausse des prix des marchandises transportées et l’augmentation des délais de livraison, synonymes d’inflation en plus et de croissance en moins.

L’action anglo-américaine a été condamnée par la Russie, qui y a vu une violation du droit international, ce qui ne manque pas de sel, et par la Chine, qui milite, comme chacun sait, pour la stabilité de l’ordre international. Plus étrangement, elle n’a pas été approuvée par l’Arabie saoudite, qui pourtant ne s’était pas retenue, en d’autres temps, de bombarder des populations civiles au Yémen, mais qui entend aujourd’hui préserver les relations qu’elle a rétablies avec l’Iran grâce à la médiation chinoise. La Turquie a également mis en cause ces décisions alors même que ce pays, souvenons-nous-en, appartient toujours à l’Alliance atlantique.

Reculade, ou escalade ?

Les démocraties se retrouvent donc devant un nouveau dilemme. Laisseront-elles les Houthis continuer de pilonner les navires dont les pavillons sont supposément compromis avec Israël et qui empruntent le détroit de Bab-el-Mandeb ? Ce serait exposer le commerce international à une menace majeure et soumettre les personnels navigants des bateaux concernés à de graves dangers. Ou bien frapperont-elles durement les Houthis, qui peuvent mobiliser au Yémen des millions de partisans ? Elles prendraient alors le risque d’une opération militaire susceptible d’enflammer la région. Tel est le dilemme : reculade, ou escalade ?

La France a pour le moment préféré s’abstenir. Je ne vois pas le gain qu’elle peut en tirer auprès de nos alliés, même si elle peut espérer échapper à la vindicte des Houthis. Jean-Luc Mélenchon a donné sur ce point un satisfecit au président Macron, ce qui est rare et n’est pas forcément le compliment le plus rassurant. Au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn a dénoncé l’intervention anglo-américaine, mais les travaillistes de Keir Starmer l’ont approuvée. Aux États-Unis, Trump, avec sa délicatesse habituelle, a prétendu que Biden avait bombardé « tout le Moyen-Orient ».

Mais si les Houthis persistent à lancer leurs missiles sur les bateaux qui circulent sur la mer Rouge, il faudra bien prendre une décision. L’Iran, qui redoute de s’exposer lui-même, fait monter en ligne tous ses partenaires, Hezbollah, Hamas, Houthis et autres groupes terroristes. Téhéran se sait couvert par le soutien de la Russie et la bienveillance de la Chine. Or on sait que ces régimes ne respectent que la force. Alors, la meilleure façon de ne pas l’utiliser, c’est aujourd’hui de la brandir.