Dix leçons sur la crise ukrainienne
Très légitimement, comme le conflit se prolonge, le débat se développe au sein des pays européens. Voici les dix thèses sur lesquelles tous les démocrates devraient s’accorder. Par François Hollande
Au moment même où Vladimir Poutine, dans une élection aux allures soviétiques, se prolonge à la tête de la Russie et où l’Ukraine subit jour après jour des bombardements meurtriers, le débat s’installe en France et, plus largement, en Europe, comme il est légitime dans une démocratie. Il porte sur les intentions réelles du dirigeant russe, les armes qu’il est susceptible d’utiliser, la capacité de l’Ukraine à faire face à un conflit dans la durée, comme sur les moyens de l’Europe pour l’aider davantage, avec les incertitudes générées par les élections américaines, et même sur l’avenir de l’Alliance atlantique.
Après les illusions des uns, la pusillanimité des autres face aux ambitions de Vladimir Poutine, sans oublier les complaisances voire les complicités dont il a pu bénéficier, vient le temps de la lucidité. Évitons de commettre deux erreurs. La première serait de sous-estimer la gravité de la crise ouverte par l’invasion de l’Ukraine et d’entretenir notre société dans une forme d’insouciance et d’indifférence, à mesure que le temps passerait. Une autre serait d’alarmer inutilement nos concitoyens en laissant que nous serions près de la belligérance, voire de la guerre. Alors quelle attitude devons-nous adopter et quelles réponses apporter ?
- Vladimir Poutine est entré depuis 2012 dans une confrontation avec les démocraties. Il a bénéficié du retrait américain de la scène mondiale avec Barack Obama et surtout avec Donald Trump, comme d’une forme de naïveté de la part des Européens, convaincus que les échanges commerciaux, les achats de gaz et le dialogue politique auraient raison des aventures du dirigeant russe.
- Vladimir Poutine, a comme projet la reconstitution d’une nation russe dans les frontières de ce qui fut hier l’Union soviétique. Pour y parvenir, il procède par étapes. La Biélorussie est sous sa domination, la Géorgie sous sa tutelle, l’Azerbaïdjan sous son contrôle, le Kazakhstan sous son influence et l’Arménie sous sa menace. Il y manquait l’Ukraine. D’où la première guerre de 2014 après la révolution de Maïdan qui avait chassé son obligé et, forcément, l’invasion de 2022.
- Vladimir Poutine a alors commis plusieurs fautes. Il a sous-estimé la résistance du peuple ukrainien et la solidité de son armée. Il a parié à tort sur la désunion européenne et n’a pas vu venir l’ampleur de la réaction occidentale, notamment américaine. Comme il a constaté amèrement son isolement, malgré la solidité de son alliance avec la Chine.
- Vladimir Poutine joue désormais avec le temps. Il pense qu’il en dispose à satiété quand ses adversaires en manquent au point de risquer l’asphyxie. Car s’il avance militairement de façon modeste, c’est qu’il espère qu’une présidence Trump arrêterait l’aide américaine à l’Ukraine, assommerait les velléités de défense européenne, et convaincrait les Ukrainiens, de guerre lasse et sans appui extérieur, d’aller vers une négociation à son seul avantage.
- La réponse des Européens tient d’abord à leur unité. Or la situation géographique détermine souvent les positions politiques. Les pays baltes et scandinaves, la Pologne, par leur voisinage, sont les plus convaincus de passer à une autre étape en matière de défense commune. Les pays du sud, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, sont solidaires de l’Ukraine, mais sont également préoccupés par le conflit israélo-palestinien, les désordres africains et les phénomènes migratoires. Quant à l’Allemagne, elle est contrainte de faire en quelques mois une volte-face en matière militaire et énergétique, qui la conduit à une certaine prudence. Quant à la France, elle est maintenant en pointe dans la mise en cause de Poutine, alors qu’hier, elle n’entendait ne pas couper tout lien avec la Russie.
- Les aides militaires qui ont été accordées à l’Ukraine par les Européens ont été quantitativement insuffisantes et qualitativement limitées. Les États-Unis ont jusqu’à présent fourni l’essentiel et le Congrès américain va, de toute façon, réduire les approvisionnements. Les accords bilatéraux passés par les Européens avec l’Ukraine sont donc absolument nécessaires. Ils visent à améliorer le rythme et l’ampleur des fournitures.
- La France, à juste raison, a décidé de fournir des armements plus sophistiqués à Zelensky. C’est ce texte, cet engagement, qui a été soumis au Parlement. Comment des groupes politiques ont-ils pu s’abstenir ou voter contre ? S’ils étaient au pouvoir, leur attitude d’aujourd’hui a une signification : elle aurait interrompu nos livraisons à ce pays ami. Ce vote-là n’est pas conjoncturel, il révèle un choix. Au prétexte de ne pas accepter l’escalade, on choisit le renoncement. Et l’alibi qui consiste à refuser d’entrer dans un système d’alliance revient à imputer à l’OTAN la responsabilité de ce qui se produit aujourd’hui. C’est un autre faux-fuyant inacceptable.
- L’Europe doit donc, dans un délai court, organiser sa défense. Produire plus d’armements, rapprocher les industriels, fabriquer ensemble les mêmes équipements, acheter davantage et pas seulement aux Américains, coordonner les stratégies et les opérations. À ce propos, disons-le très clairement : il n’y aura d’Europe de la défense que dans l’OTAN. Prétendre constituer un pôle en dehors, c’est plus qu’une illusion, c’est un mensonge. Aucun pays européen n’y est prêt, même si les États-Unis devaient s’éloigner de l’alliance. Être dans l’alliance, ou ne pas se défendre du tout : telle est la question.
- Zelensky a dit le vrai. Il n’a pas besoin de troupes venues de l’extérieur. Les Ukrainiens défendent courageusement l’intégrité de leur territoire, mais, en revanche, ce qu’ils demandent, ce sont des armes, ce sont des aides, ce sont aussi des financements, sans lesquels ils ne pourront repousser leur ennemi. Les équipements fournis entraîneront nécessairement des pertes plus élevées du côté russe et conduiront donc Vladimir Poutine à agiter la menace nucléaire. Mais il connaît parfaitement les règles de la dissuasion. Il sait que toute utilisation, même s’il s’agit d’une arme tactique employée sur un terrain limité, entraînerait une réaction à une échelle bien supérieure de pays qui considèreront que leur intérêt vital est atteint. La guerre, déjà terrible, restera donc conventionnelle.
- Elle se terminera avec l’épuisement de la Russie. Le temps est assassin pour les dictateurs quand ils ont engagé leur pays dans un conflit qu’ils ne peuvent pas arrêter. L’histoire, de ce point de vue, est éloquente. Les pertes humaines s’ajoutent au sacrifice de la population, l’économie peu à peu s’effondre, les alliances se dénouent inéluctablement, les investissements technologiques prennent un retard irrattrapable, les rivalités au sein du système s’exacerbent, les militaires finissent par eux-mêmes douter. Ainsi, si nous sommes patients, résolus et unis, le problème de Vladimir Poutine, au bout du compte, ne sera plus l’Ukraine. Ce sera la Russie.