Donald Sarkozy et Nicolas Trump
Au lieu d’accepter ses décisions comme le font les citoyens ordinaires, deux ex-présidents accusent les juges de conspirer contre eux pour des raisons partisanes. Ils tendent ainsi à miner l’un des piliers essentiels des régimes démocratiques.
Au physique comme au moral, il n’y a guère de points communs entre Donald Trump et Nicolas Sarkozy. Sauf un : leur allergie aux magistrats et, partant, leur campagne délétère pour discréditer ce qu’il est convenu d’appeler en démocratie « l’état de droit ».
Simultanément, ou presque, les deux anciens présidents ont essuyé une nouvelle défaite judicaire. Le Français a écopé en appel d’une peine de prison ferme pour le dépassement financier massif qu’il a accepté lors de sa campagne de 2012 ; l’Américain a vu sa demande d’immunité rejetée par un juge de New York et sera donc jugé en appel pour avoir bidouillé des paiements douteux à une actrice porno nommée Stormy Daniels, dont il voulait acheter le silence.
La comparaison s’arrête là : Nicolas Sarkozy n’a jamais tenté de coup d’État, il n’insulte pas ses adversaires et ses discours, quoique parfois familiers ou à l’emporte-pièce, se situent à cent coudées au-dessus des « stand-ups » grossiers et mensongers du milliardaire populiste. On mesure d’ailleurs l’extraordinaire décadence civique de la démocratie américaine quand on rappelle que naguère un candidat favori nommé Gary Hart avait dû se retirer de la course à la Maison-Blanche après la publication d’une photo de lui en compagnie de sa maîtresse, Donna Rice. Aujourd’hui, un candidat en butte à des dizaines de chefs d’accusation dans quatre procès, qui a proféré des centaines de mensonges patents alors qu’il était président et qui a déclaré un jour qu’il fallait « prendre les femmes par la chatte », est le favori des primaires républicaines et pourrait gagner l’élection de novembre prochain. Mieux : plus ses turpitudes sont attaquées par la justice, plus il monte dans les sondages.
Dérive
Pourtant les deux hommes se rejoignent dans la même dérive, qui consiste à imputer leurs ennuis judiciaires à un complot politique imaginaire auquel les juges prêteraient la main. Ce faisant, ils contribuent à la lancinante campagne lancée par l’extrême-droite contre l’état de droit, relayée de plus en plus par la droite traditionnelle. Danger majeur : les réquisitoires permanents de ces politiques contre les magistrats reposent sur une conception atrophiée et dévoyée des institutions démocratiques, selon laquelle la justice n’aurait aucune légitimité à entrer en contradiction avec le vote populaire.
La démocratie, en effet, ne se résume pas au suffrage. Elle est encadrée par des contre-pouvoirs institutionnels chargés de protéger les libertés publiques et de soumettre les hommes politiques – seraient-ils ultra-majoritaires – aux mêmes lois que les citoyens. En s’efforçant de miner sans cesse la légitimité de ces instances, sans lesquelles le pouvoir de majorité risque de tomber dans l’arbitraire et, à terme, dans la tyrannie, Trump et Sarkozy, à des degrés divers et selon des modalités différentes, tendent à corrompre les régimes de liberté et risquent, à terme, d’écorner singulièrement les garanties de droit nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie. Tel est, au-delà de leur sort individuel, le véritable enjeu de ces affaires en apparence médiocre et subalternes – Bygmalion, Bismuth ou Stormy Daniels – : l’intégrité et la rectitude des deux démocraties que sont la France et les États-Unis.