Universités américaines : Apocalypse Now
Nous autres européens déplorons les tragiques décisions internationales et économiques prises par la nouvelle administration Trump. Nous oublions que les premières victimes du Néron des Amériques sont d’abord les citoyens américains.

On ne compte plus les restrictions de la liberté d’expression dirigées contre l’enseignement et la recherche aux États-Unis. Pensant au caractère anecdotique des premiers incidents, certains ont voulu croire aux élucubrations du premier mandat, espérant que les attaques ne soient que de pure forme.
Cette ère est derrière nous. Début mars, un chercheur français en faisait les frais, se rendant à une conférence à Houston. Interpellé, son ordinateur et son téléphone saisis, il était interdit de se rendre aux États-Unis puis expulsé. Le motif ? Si la porte-parole du ministère de la sécurité intérieure dénonce la divulgation d’informations sensibles, le CNRS – et le ministre français de la recherche – avancent des motifs politiques, comme des conversations privées interceptées sur le téléphone, critiquant la politique de Donald Trump, notamment en matière de recherche.
L’intensité des menaces contre la recherche universitaire et la science se mesure à vaste échelle. La professeure allemande Katrin Kinzebach, spécialiste internationale des Droits de l’Homme, est à l’origine d’un indice de liberté académique. Comprenant cinq critères, dont la liberté de recherche et d’enseignement ou la liberté d’expression académique, appliqués à 179 pays, elle confirme un mouvement général, entamé avant l’arrivée de Trump, mais connaissant désormais une brusque accélération.
À la lumière de l’expérience argentine, les craintes sont fondées non seulement pour les États-Unis, mais au-delà. Les plus cyniques considèreront que l’exil européen est un bon moyen de récupérer la valeur ajoutée de la matière grise d’outre-Atlantique. Sans doute, mais ce serait ignorer le degré de coopération internationale et les données indispensables stockées par les institutions américaines, et dont l’humanité toute entière a besoin.
Parallèlement à la recherche, il s’agit de poursuivre la mise au pas des universités progressistes, bastions du « wokisme ». Une partie des universités de la Ivy League subissent les foudres et le chantage financier du pouvoir fédéral. Attaques contre les bourses et le niveau de dépenses publiques, contrôle sur les contenus d’enseignement et les règlements intérieurs aux campus, le cabinet noir de Trump déploie sa hargne avec méthode. Exigeant un droit de regard sur la réforme des départements des études sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique, depuis la mise sous tutelle en date du 13 mars, l’université new-yorkaise doit aussi se mettre au pas avec l’engagement de trente-six agents spéciaux capables de faire le ménage en cas de troubles à l’ordre public. Columbia a donc cédé, espérant récupérer la manne de 400 millions de dollars, mais d’autres en Pennsylvanie sont dans l’œil du cyclone. Philadelphie, par exemple, est sommée de ne plus faire nager une athlète transgenre afin d’alléger les insomnies de l’aliéné de la Maison Blanche.
Alors pourquoi la résistance ne s’organise-t-elle pas plus significativement ? Cette question, déjà soulevée dans nos colonnes, renvoie sans doute à ce qu’est le système universitaire américain et ses dérives financières. Les universités les plus prestigieuses concentrent les critiques sociales des milieux populaires, pas seulement acquis aux Maga. Avec 62 000 dollars annuels de frais de scolarité en moyenne auxquels il convient d’ajouter 20 000 dollars pour le logement, Columbia symbolise l’élitisme mondialisé cosmopolite hors-sol que Trump exècre.
Ces lieux de savoirs ne sont pas, financièrement parlant, les plus transparents du pays. Ils disposent de fonds de réserve conséquents, dont les seuls intérêts peuvent être utilisés. Prétextant cette opacité entre ce qui relève de la bureaucratie et les fonds alloués à l’enseignement et la recherche, les gilets jaunes rubis sur l’ongle de Washington, prennent à témoin l’opinion publique, à coup de populisme débridé.
L’ancienne présidente de la fédération de catch, nommée ministre de l’enseignement, n’a-t-elle pas reçu pour mission le démantèlement de son propre ministère ? Multipliant les missives expéditives interrompant les travaux universitaires, Linda Mac Mahon – non le boucher de la Commune mais la charcutière des savoirs académiques – remplit sa tâche avec zèle.
La résistance, commencée le 7 mars sur les campus américains et les autres du monde entier, est notoirement insuffisante. Sans amplification et seuil supplémentaire, les dégâts – sans être irréversibles – seront lourds pour toute l’humanité dans des domaines aussi vitaux que l’étude des bouleversements climatiques et environnementaux ou la recherche médicale.