Donald Trump contre l’État américain

par Jean-Paul Mari |  publié le 31/05/2024

En utilisant ses condamnations, Trump poursuit un but annoncé : en finir avec l’État de droit.

Un drapeau à l'effigie de l'ancien président des États-Unis et candidat républicain à la présidence Donald Trump flotte au milieu d'un petit groupe de partisans près de Mar-a-Lago le 30 mai 2024 à Palm Beach, en Floride - Photo by Alon Skuy / GETTY IMAGES

« Guilty » (34 fois), ont conclu les 12 jurés de la cour criminelle de New York dans le procès dit « Trump-Stormy Daniels » pour falsification de documents comptables. « Je suis très innocent », a répondu le trente-quatre fois coupable Donald Trump. Et ses partisans ont immédiatement lancé une campagne d’appel aux dons pour venir en aide au « martyr » d’un procès politique.

On pourrait voir une contradiction fondamentale dans la juxtaposition de ces deux faits. D’un côté, la condamnation d’un tribunal démocratique ; de l’autre, la proclamation par le condamné que la sentence est nulle et non avenue. On pourrait même croire à une aberration, un dérapage personnel, le fait d’un homme égaré. Il n’en est rien.  Ce qui s’est joué et se joue encore à New York est le fondement même du combat de Trump contre l’État de droit américain, tout ce qui fonde les valeurs de la « première démocratie au monde ».

Ne parlons pas du fond de morale protestante qui dégouline des films américains ou de celle, historique, qui imprègne les grands débats du Congrès. Celle d’un pays fondé par des colons puritains religieux, certes brutaux et capables de génocide des Amérindiens, mais dont leurs héritiers parlent de la Constitution comme d’une bible. Cette morale-là s’est retrouvée dans le caniveau grâce à un futur président, gras, vieillissant et décoloré, assis sur un lit, en caleçon, attendant les services d’une actrice du porno à qui il a demandé de lui donner une fessée avant accouplement.

Méthode mafieuse

Ne parlons pas non plus de la méthode mafieuse qui consiste à acheter, pour les faire taire, la parole des témoins et des « victimes ». Un peu plus au sud, un certain Pablo Escobar proposait « plata o plomo », de l’argent ou du plomb. Privé, pour l’instant, de tueurs patentés, Donald Trump a fait proposer par son avocat 130 000 dollars à Stormy Daniels pour acheter son silence. Et, dans le même esprit, il a demandé à une revue amie, le National Enquirer, d’acheter toutes les enquêtes journalistiques en cours sur ses méfaits pour ne pas les diffuser, donc pour étouffer les affaires. Emporté par son élan, il a maquillé ses comptes pour faire passer ces frais en dépenses électorales. D’où sa condamnation à New York, un peu comme le gangster Al Capone tombé finalement pour fraude fiscale.

On aurait tort de penser que ces magouilles multiples ne sont que des extrémités pour un candidat Trump aveuglé par la bataille. Chaque fois que la justice le poursuit ou le condamne, Trump a toujours la même réponse : un complot, un procès politique, contre une victime, un martyr, lui. Et une formule : « C’est un jour très triste pour l’Amérique ! » Trump ne se prend pas pour Donald, il se prend pour l’Amérique. Conclusion : si celle qui existe est forte des lois de son pays, il ne reste plus qu’à changer les juges et à transformer les lois.

Comme président, il a modifié la Cour suprême en nommant trois juges (sur neuf), qui lui sont entièrement favorables, modifiant ainsi la majorité. Sa méthode : entrisme, noyautage, assaut final. Et quand sa guerre d’attrition ne suffit pas, il fait prendre littéralement d’assaut à main armée par ses milices barbares, armes à la main et casque à cornes sur la tête, les institutions comme le Capitole le 6 janvier 2021.

Tous les moyens sont bons

Trump ne veut pas d’un État de droit, son ennemi, il veut imposer son droit à l’État américain. Et tous les moyens sont bons : soudoyer un journal, une prostituée, appeler un gouverneur de la Géorgie pour lui demander de changer plusieurs milliers de votes, nier le résultat d’un vote et en faire un mantra, une vérité alternative. L’État, c’est lui, sinon il est son ennemi, donc illégal.  S’il était réélu – il le sera forcément sinon les élections… auront été truquées une fois de plus – il a annoncé clairement ce qu’il ferait.  D’abord, libérer tous les émeutiers du Capitole « emprisonnés à tort », même si certains, condamnés, ont reconnu leur culpabilité. Et aussi et surtout, des réformes judiciaires pour en finir avec une justice « politique » et « partiale » qu’il veut profondément réformer. Il dénonce le FBI et le ministère de la Justice comme « corrompus », son mot fétiche et passe-partout, des organismes qui sont « utilisés contre lui ». Il affirme qu’il continuera à nommer des juges conservateurs un peu partout, notamment à la Cour suprême, et qu’il lancera des enquêtes sur ses opposants politiques comme Joe Biden et son fils.

« Un seul verdict…le 5 novembre »

Ce programme ne serait pas inédit s’il venait de la bouche d’un populiste d’Amérique latine ou d’un tyran africain, mais il s’agit bien de Trump, vainqueur potentiel de l’élection présidentielle du 5 novembre, dans cinq mois. Le pays menacé s’appelle les États-Unis d’Amérique et il s’agit de mettre à bas son État de droit. Avec de nouvelles règles : 1/ les élections ne sont valables que si elles lui sont favorables, 2/la justice, jusqu’ici considérée comme la base de la démocratie américaine, doit-être désormais aux ordres, sinon elle n’a plus de légitimité. D’ailleurs, Donald Trump, reconnu coupable 34 fois par la Cour criminelle de New York, l’a dit clairement :  « Le vrai verdict sera rendu par le peuple le 5 novembre ».

L’objectif de Donald Trump est donc simple, clair et annoncé : mettre à bas l’État de droit historique, donc la démocratie américaine.

Jean-Paul Mari