L’arroseur arrosé
Les dégâts causés par Donald Trump sont déjà considérables. Sur le plan géopolitique et sur le plan économique. Pourtant je crois, au risque de surprendre, que nous saluerons un jour les effets positifs (bien involontaires) de sa politique.

Tout d’abord, le brutal changement d’alliance que Trump a opéré sur le plan international pourrait avoir réveillé l’Europe. Ce n’est pas encore certain, mais la prise de conscience de ce côté-ci de l’Atlantique est réelle. L’Europe sait maintenant qu’elle doit sortir de sa paresseuse léthargie. On en voit d’ailleurs déjà les effets avec la mobilisation en faveur de l’Ukraine, le rapprochement de l’Angleterre du continent, la sortie de l’Allemagne de son pacifisme béat et l’évolution de pays comme la Pologne vers l’Ouest libéral. La peur est souvent de bon conseil. Il était temps. De ce point de vue il faut reconnaître que la voix de la France, depuis le discours de La Sorbonne, ne s’est jamais démentie.
Ensuite le réarmement européen – rendu nécessaire par le lâchage américain – n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour l’économie européenne. Une récente étude de l’institut économique de Kiel a estimé cet effet dopant entre 1% et 1,5% du PIB pour la croissance et 0,4% en matière de productivité. L’Histoire montre que le secteur militaire a toujours été à l’origine de percées technologiques (Internet, le nucléaire, etc.). Israël l’a démontré depuis longtemps. L’économie européenne en touchera les dividendes : une façon comme une autre d’appliquer les recommandations du rapport Draghi en matière d’investissement ! Cela sera particulièrement vrai pour la France. Notre pays est déjà le deuxième exportateur mondial en matière d’armement, et dispose de très belles entreprises dans le secteur (Thales, Dassault, Safran, Airbus) avec leurs milliers de sous-traitants. Depuis mes années d’aménagement du territoire je connais l’importance capitale de ce secteur pour des bassins d’emploi difficiles (Saint-Étienne par exemple).
Il en va de même du virage américain en matière d’environnement et de recherche. L’abandon de toute politique industrielle dans le domaine des énergies nouvelles laisse la porte grande ouverte aux concurrents et notamment à l’industrie du nucléaire en France. Enfin beaucoup de chercheurs américains, effarés par le mépris de la nouvelle équipe à l’égard de la science, pourraient chercher refuge en Europe…. si nous savons les attirer .
Les coups de boutoirs donnés par Washington au commerce international ne sont pas non plus sans conséquence. D’abord, c’est mécanique, l’inflation américaine va inévitablement repartir et tous les contempteurs de la mondialisation vont finalement se rendre compte qu’une guerre commerciale ne sert personne. Il est triste d’avoir à payer ce prix mais la leçon sera utile pour l’avenir. Combien de responsables d’entreprises ont récemment caché leurs vieux réflexes protectionnistes derrière de sonores coups de clairons sur la nécessité de défendre la souveraineté nationale ? Disons-le : tout le monde paiera cher cet apprentissage qu’on aurait pu éviter.
En attendant, le président américain veut que le dollar baisse pour pouvoir accroître les exportations. Soit. Cela coûtera cher à l’industrie allemande. Mais Donald Trump prend un risque énorme à terme : celui d’éroder le statut du dollar en tant que monnaie de réserve internationale. En rendant moins attractive la détention de billets verts par les investisseurs et les banques centrales du monde entier. Cela pourrait faire l’affaire de l’euro. Et peut-être aussi de la Chine. Mais cela ne servira sûrement pas la puissance américaine.
Mais tout cela n’est rien si l’on prend conscience du véritable enjeu : celui des valeurs. Les errances de Donald Trump offrent au Vieux Continent une chance unique, celle de redevenir la grande voix démocrate du monde.