Contre: Donner la mort, l’échec absolu

par Professeur Frédéric Adnet |  publié le 03/05/2024

La fin de vie volontaire n’est pas un droit mais un constat de défaite ultime

On nous annonce un texte légiférant un « droit » à la mort, synonyme d’une « nouvelle liberté » voire d’une « victoire » qui résiderait dans le fait de pouvoir choisir le moment de sa mort ou de sa fin de vie. Problème éminemment complexe qui éloigne encore davantage l’homme biologique et l’être humain social. La maitrise de la mort finalise le remplacement du cycle naturel biologique de l’être humain par un contrôle sociétal presque absolu.

Ce contrôle commence par la maitrise des naissances, des maladies jusqu’alors incurables et, fini par programmer l’arrêt irrémédiable de ce cycle. La boucle est ainsi bouclée dans la maitrise sociétale complète de ce qui fait de l’homme un être vivant. La problématique de déterminer volontairement le temps, le moment de mourir, outre la notion de substitution divine, permet d’ouvrir un débat sur la notion de vie et ce que cela implique.

L’administration par voie orale d’une dose létale de morphinomimétiques induit une dépression respiratoire qui entraine l’arrêt des battements du cœur et, par voie de conséquence, une souffrance cérébrale qui détruit progressivement le cerveau. Où est la mort ? La mort réside-t-elle dans l’arrêt du souffle de la vie, dans l’arrêt cardiaque ou dans l’ischémie irréversible du cerveau ? Les grands principes actuels de la réanimation médicale conduisent les médecins à privilégier l’activité cérébrale, autrement dit la possibilité pour le patient de récupérer une qualité de vie synonyme d’interactions sociales préservées avec le monde extérieur. Les techniques de réanimation vont dans ce sens.

C’est probablement la meilleure définition « médicale » de la vie, définition importante car elle nous permet de différencier les individus « inconscients » pour lesquels donner la mort consiste simplement à laisser les autres fonctions vitales s’éteindre comme la respiratoire et la fonction cardiaque. Ce processus, souvent encadré par les textes sur la limitation des thérapeutiques actives, est bien accepté et pose, à l’heure actuelle, peu de problèmes éthiques. Dans ce premier cas de figure, le plus simple, une Loi permissive est bien sûr plus acceptable à condition de réunir des garde-fous éthiques et scientifiques.

Le sujet des patients « conscients » qui réclament une mort cérébrale est beaucoup plus complexe. En effet, le patient qui réclame un retrait de sa vie, et de manière consciente et factuelle face à une situation de souffrance « intolérable », engendre un véritable débat sociétal.

La possibilité de vivre, c’est-à-dire d’interagir avec son environnement, constitue la liberté la plus fondamentale de l’être humain. Cette liberté est bien sur synonyme de joie de vivre qui peut se cristalliser en plaisir intime difficilement quantifiable. Lorsque ce plaisir devient, par la progression d’une maladie incurable ou l’échec de prises en charge sociétales ou médicamenteuses, pratiquement nul en regard des souffrances, l’interruption de la vie s’impose comme le moyen le plus simple et le plus économe. Il constitue néanmoins, et avant tout, un aveu d’échec puisque nous n’avons pas pu procurer une fin de vie acceptable dans des conditions où le patient puisse profiter d’instants, de moments de plaisir.

C’est tout l’enjeu des soins palliatifs qui constitue une spécialité inscrite dans un progrès médical et qui doit être encouragée, financée et proposée à chaque patient avant de choisir la solution de facilité. La généralisation de l’accès à la mort risque, en effet, dans un calcul mercantile et d’une fausse compassion sociétale, de freiner cette science du palliatif.

La volonté de l’être cher d’accéder à une mort certaine reste problématique. La caractéristique principale de la directive anticipée est sa dépendance contextuelle au moment de sa rédaction. Je me souviendrai toujours de ce touriste américain, victime d’une détresse respiratoire, et ayant bénéficié d’une réanimation intensive et lourde dans mon service, qui nous expliquait, au décours de son hospitalisation, que son anxiété pendant la phase de réveil résidait dans le fait que l’on puisse découvrir son bracelet où était gravé : “do not resuscitate”…

D’autre part, il n’a jamais été question de ne pas réanimer les patients victimes d’une tentative de suicide et cette attitude est confortée par un taux de récidives souvent très faible sous couvert d’une bonne prise en charge multidisciplinaire.

La volonté de mourir s’inscrit ainsi dans le résultat d’un échec de prise en charge par les soignants, de protocoles d’analgésie ou des soins de confort, ou encore par un progrès médical de l’instant pas encore au point pour procurer des moments d’échange et de plaisir lié à la vie de notre patient.

Devant la détresse du patient, n’oublions pas la part de souffrance des proches qui impacte le sentiment de devenir une charge, un poids ou de générer une tristesse de l’entourage. Une partie de la souffrance des patients en fin de vie reflète une bonne part de notre propre souffrance et la libération par la mort va en fait libérer l’entourage qui ne supportait plus la vision de l’être cher. Ainsi, le patient peut demander à mourir pour abréger les souffrances de ses proches.  Il existe une sorte de compassion par procuration qui rend cette mort acceptable. Ici encore, les limites d’un accompagnement par des équipes spécialisées est questionnable.

La fin de vie volontaire, renoncement à l’ultime liberté de l’intime, ne peut se concevoir comme une victoire, mais au contraire comme l’échec de notre société à pouvoir accompagner les patients en soulageant leurs douleurs physiques ou psychologiques. C’est dans cet état d’esprit que, parfois, et dans ce contexte, on peut envisager l’échec comme inévitable et donc donner la mort.

Donner la mort n’est pas accéder à un “droit”, c’est un constat de défaite.

Prochain article :  2/ Les arguments contraires des défenseurs du projet

Professeur Frédéric Adnet

Chroniqueur médical