Droits des femmes : l’erreur des néo-féministes

par LeJournal |  publié le 08/03/2024

Tout à sa juste dénonciation des retards français, le féminisme radical oublie que si la cause des femmes progresse, c’est d’abord grâce aux tenants de la réforme

Manifestation à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes. Photographie Victoria Valdivia Trigo / Hans Lucas

Journée des droits de la femme doublement célébrée aujourd’hui : à l’annuelle protestation contre les discriminations anti-féminines, s’ajoute cette année la cérémonie du « scellement » de la constitution, qui inscrit dans le marbre de la République le droit à l’IVG. Ainsi le pouvoir macronien, désormais situé au centre-droit, se retrouve associé à la gauche tout entière, de Mathilde Panot à Laurence Rossignol ou Mélanie Vogel, pour revendiquer légitimement un progrès qui place la France à l’avant-garde de la lutte pour l’égalité des droits et la protection des acquis de la cause féministe.

Cette heureuse coïncidence rappelle une vérité permanente : c’est bien la conjonction des luttes radicales avec les forces réformistes, légalistes et vouées à l’action gouvernementale, qui autorise le progrès vers l’émancipation. Sans l’insistant militantisme d’une Mathilde Panot ou d’une Clémentine Autain, point de prise de conscience, point d’aiguillon. Mais sans l’action patiente d’une Laurence Rossignol, d’une Aurore Bergé ou d’une Mélanie Vogel, toutes élues étrangères à la radicalité sonore, point d’aboutissement. Pour progresser, il faut    

choquer, déranger, harceler même. Mais il faut aussi argumenter, convaincre, proposer et, au bout du compte, gouverner, pour pouvoir décider. Le progrès suppose de lutter, mais aussi de saisir les rênes du pouvoir, sans lesquelles rien n’est possible. La radicalité interpelle, le réformisme réalise.

Il en va ainsi depuis les débuts de la cause féministe. Ce sont les suffragettes, militantes et provocatrices pour l’époque, qui entament le combat. Mais c’est Léon Blum, chef du gouvernement de Front Populaire, qui nomme les premières femmes ministres et, surtout, le Général de Gaulle, militaire fort « patriarcal », qui instaure le vote féminin. Ce sont Simone de Beauvoir, intellectuelle, Gisèle Halimi, avocate, ou Françoise Giroud, journaliste, qui plaident pour l’égalité femmes-hommes par leur action publique et militante. Mais c’est François Mitterrand, président réformiste, qui fait progresser la cause ou Michel Rocard, éminence sociale-démocrate, qui instaure la parité en politique.

À entendre certaines néo-féministes à la respectable ardeur, rien n’aurait été fait avant elles. Le droit de vote en 1944, l’émancipation civile et la contraception dans les années 1960, le droit à l‘avortement et la criminalisation du viol dans les années 1970, la lutte pour la parité en politique et dans l’économie dans les années 1990 : détails négligeables, puisque la société reste soumise à un patriarcat « systémique » qui continue d’opprimer comme devant.

Tout n’est pas faux dans ce réquisitoire : il reste, effectivement, beaucoup à faire. Mais pourquoi nier que beaucoup, aussi, a été fait ? À moins de considérer que la France, qui certes avance trop lentement, reste, en matière de droits des femmes, une sorte de province lointaine de l’Afghanistan. En fait, chaque époque a ses combats, qui forment pour le progrès de la cause un long chemin où une étape prépare la suivante.

Il a fallu obtenir les droits politiques et civiques, avant de rendre aux femmes la maîtrise de leur corps qui leur était déniée par la tradition et la religion, pour mettre fin aujourd’hui aux agressions sexuelles qui forment un système oppressif, aux dominations de la vie privée et aux discriminations qui persistent dans la vie quotidienne, dans le travail ou dans le partage des tâches ménagères, dossier sans doute le plus difficile à faire avancer.

En un mot : celles et ceux qui moquent les néo-féministes doivent reconnaître qu’elles sont les héritières d’un combat juste qui fut en son temps tout autant dénigré. Et ceux qui les voient comme les seules dépositaires de la cause oublient qu’elles dépendent aussi de pionnières valeureuses, seraient-elles « boomer », et qu’elles ont besoin, pour faire avancer la cause, des forces réformistes qu’elles affectent de juger retardataires ou trop prudentes.

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