« Du coup »

par Emmanuel Tugny |  publié le 15/03/2024

Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité

« Le réel, c’est quand on se cogne », dit en substance Jacques Lacan dans une conférence américaine de décembre 1975. Le réel, l’événement, ce qui va venir, ce qui suit, ce qui est « derrière » (on fera justice plus tard du mésusage de ce « derrière » si souvent outragé, de nos jours), « l’ad ventura », est un coup.

Et moins l’on anticipe ce qui vient depuis une pensée de cet « autre », de cet opaque inconnu qu’est « ce qui vient », plus le coup qu’il assène est rude et plus sa hantise obsède, « du coup »…

C’est sans doute ainsi et sans doute pour cela que la locution adverbiale « du coup », apparue au XIXe et d’abord utilisée au sens premier de « en raison du coup », règne en maître en terre d’individualisme radical, d’impensé de l’autre.

C’est aussi pour cela qu’elle a installé son empire sur tout le champ de l’expression phrastique logique, évinçant, éradiquant du bagage lexical contemporain « donc », « alors », « aussi », « de ce fait », « ainsi », « par conséquent », « partant », « de sorte que », « de telle manière que », tant d’autres indispensables nuanceurs de l’abord de la relation de cause à effet, tous ces liens lexicaux logiques qui attestaient qu’on avait pensé le réel de sorte qu’il fût mieux, davantage, plus qu’un « coup ».

Oui tout annonce un coup, tout est coup, à l’obtus égotique qui, le nez appliqué sur son révéré, inculte et impérial nombril, n’est plus en mesure de vivre autrement le réel que comme l’inattendu, l’imprévu, la pure aventure, brutale, de l’uppercut au foie, « du coup »…Celui-là ne vit pas : il encaisse.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie