Dune 2 : la science-fiction lanceuse d’alerte
Le destin de la planète Arrakis, envahie par les dunes, préfigure ce qui pourrait bien arriver à la nôtre
En 1959, Franck Herbert fait un reportage sur la lutte contre l’avancée des dunes de l’Oregon balayées par les vents du Pacifique. Il se passionne pour le sujet, mais ne publiera jamais son article. En revanche, il travaille les formes de survie dans le désert et l’impact écologique de l’homme sur la nature. Enfin, il se lance dans l’écriture d’un ambitieux roman de science-fiction qu’il mettra six ans à écrire : « Dune », lequel sera refusé par vingt maisons d’édition avant d’être accepté par un petit éditeur spécialisé.
« Dune » n’a pas rencontré tout de suite le succès, tant s’en faut. Mais à le lire aujourd’hui – et à voir l’adaptation convaincante qu’en donne Denis Villeneuve -, on réalise que Franck Herbert fut un méga lanceur d’alerte. Ses messages visionnaires prennent tout leur sens aujourd’hui.
Le destin de la planète Arrakis, envahie par les dunes, préfigure ce qui pourrait bien arriver à la nôtre. Arrakis est la planète qui fournit au reste de l’univers la précieuse Épice, enfouie dans le sable de ses déserts. Cette drogue psychédélique a des effets prodigieux : elle prolonge la vie des humains, décuple leurs capacités cognitives et leur ouvre les espaces de la « prescience ».
Arrakis est exploitée sans vergogne par l’Empire militarisé qui domine le monde. Mais une poignée de résistants au pillage de l’Épice, les Fremen – lire : Freemen ? – entrave sérieusement l’extraction par l’Empire de cette richesse précieuse. On peut imaginer qu’Herbert avait en tête l’exploitation forcenée de l’or noir et la dépendance de nos économies au « tout-pétrole ».
Le message de « Dune » est clair : il faut protéger les peuples proches de la nature. Les insaisissables Fremen, peuple rebelle du désert que les soldats de l’Empire tiennent pour des « rats », inscrivent leur lutte dans une stratégie de planification écologique à long terme. En effet, ils accumulent dans leur sous-sol depuis des milliers d’années – ce que le reste du monde ignore – des milliards de mètres cubes d’eau. Cette sagesse leur permettra, une fois l’Empire battu, de faire reverdir Arrakis.
Pour cela, les Fremen attendent le « Messie » qui les conduira à la victoire : c’est Paul Atréides (Timothée Chalamet), qui va endosser ce rôle messianique. Reconnu comme le Sauveur attendu, il va déclencher une ferveur religieuse qui vire au fanatisme. Herbert, qui a servi de porte-plume à quelques hommes politiques, a pu observer leur monde de l’intérieur. Il alerte sur le danger que représentent les politiciens qui passent pour des héros aux yeux du peuple, surtout quand ils sont instrumentalisés par les idéaux religieux. Une prédiction qui annonce, dès 1965, l’irruption du fondamentalisme dans le politique.
Enfin, troisième alerte, et non des moindres : les dégâts provoqués par l’Intelligence Artificielle. Elle est bannie de l’Empire depuis plus de 10 000 ans pour avoir mené le monde à la crise. La « Bible catholique orange », texte sacré reconnu par les trois monothéismes, impose un dogme : « Tu ne feras point de machine semblable à l’esprit humain. » Car toute augmentation artificielle de l’homme finit par accroître sa vulnérabilité et provoquer sa perte. La fonction du progrès est de nous rassurer face aux dangers à venir, mais ce n’est qu’un trompe-l’œil.
La conjonction de l’épuisement de la nature, de la montée du fondamentalisme religieux et du développement incontrôlé de l’Intelligence Artificielle mène au désastre. Ces trois alertes ont été lancées en… 1965. À l’époque, c’était de la science-fiction.
Dune 2, de Denis Villeneuve