Dupond blanchi, la Cour noircie

par Laurent Joffrin |  publié le 29/11/2023

La CJR a relaxé Éric Dupond-Moretti : bonne nouvelle pour le ministre, moins bonne pour la Justice et la classe politique.

Laurent Joffrin

Une juridiction en conflit d’intérêt pour juger un conflit d’intérêt ? C’est la position inconfortable dans laquelle la Cour de Justice de la République s’est placée en relaxant Éric Dupond-Moretti. Le ministre était accusé d’avoir usé de sa fonction pour régler quelques comptes avec des magistrats qu’il avait dans le nez. La Cour a estimé le contraire. Seulement voilà : comme elle est composée en majorité de parlementaires, ses contempteurs l’accusent « d’entre-soi », c’est-à-dire d’indulgence coupable à l’égard d’un autre membre de la classe politique. Autrement dit d’une sorte de conflit d’intérêt…

Il est vrai que la motivation de la décision peut surprendre. La Cour considère que le ministre, en ouvrant une enquête contre des magistrats qu’il avait combattus en tant qu’avocat, était bien dans une position délicate, où ses deux qualités, l’ancienne et la nouvelle, entraient en collision. Elle a indiqué que les « éléments matériels » du conflit d’intérêts existaient, mais non les éléments intentionnels. La cour a considéré dans ses motivations que « l’élément matériel » de la prise illégale d’intérêts était bien constitué.

Mais il y manquait l’élément intentionnel. Comme le rapporte Le Monde, « A aucun moment », le ministre « n’avait exprimé (…) une animosité, un mépris ou un désir de vengeance », a déclaré le président de la CJR Dominique Pauthe. La cour a également estimé qu’il n’avait pas été « averti » du conflit d’intérêts. Si l’on comprend bien, le ministre ne portait pas dans son cœur ses adversaires, mais il s’est gardé de le dire. Quant à l’irrégularité de sa démarche, il en ignorait la nature et personne ne l’en avait prévenu. Les mauvais esprits en déduiront qu’un délinquant qui reste discret sur ses motivations et proclame qu’il ignorait la loi au moment où il la violait devrait être innocenté. Voilà qui devrait faciliter la tâche de nombreux prévenus…

La décision a-t-elle été prise en vertu d’une louche connivence des politiciens entre eux ? Nous laisserons aux poujadistes patentés la responsabilité de cette affirmation. Après tout, la Cour de Justice comprend un nombre respectable de magistrats de haut vol qui se prêteraient difficilement à une manipulation grossière. Quant aux parlementaires qui y siègent, ils sont en majorité membres de l’opposition, et donc peu enclins à offrir un traitement de faveur à Éric Dupond-Moretti. Il est fort possible, donc, que la relaxe du ministre soit finalement fondée juridiquement.

Néanmoins le doute subsiste. Les débats avaient fait apparaître des éléments embarrassants pour le tonitruant Garde des Sceaux et les réquisitoires semblaient solides. L’opinion s’en souviendra pour suspecter la décision de la Cour, quand bien même elle serait conforme au droit. Or la Justice est un peu comme la femme de César : elle ne doit pas pouvoir être soupçonnée.

Il est une solution simple à ces ambiguïtés qui grèvent la confiance du public dans les institutions. C’est celle qu’avait proposée en son temps la « Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique » créée en 2012 par François Hollande et présidée par Lionel Jospin : la suppression pure et simple de la Cour de Justice de la République et le renvoi des ministres accusés dans l’exercice de leur fonction devant les juridictions ordinaires. Adoptée avec plusieurs autres en Conseil des Ministres, elle avait été écartée au Parlement, faute d’une majorité suffisante pour réformer la Constitution. La réforme reste d’actualité : en ces temps de défiance générale, la classe politique aurait collectivement tout avantage à s’appliquer le traitement réservé aux citoyens ordinaires.  

Laurent Joffrin