Dupond contre Moretti
Le ministre de la Justice Dupond a-t-il épousé les querelles de l’avocat Moretti pour régler des comptes personnels ? Le conflit d’intérêt au cœur d’un procès fort embarrassant pour la macronie.
Distrayante, à beaucoup d’égards, l’affaire Dupond-Moretti. Voilà un ministre de la Justice accusé par la justice, un avocat changé en client, un ténor du barreau menacé d’aller derrière les barreaux, en un mot, un arroseur arrosé.
À l’origine, le parquet financier enquête sur l’éventuelle contribution du régime Kadhafi à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Apprenant que l’ancien président et son avocat Thierry Herzog ont ouvert une ligne secrète sous le nom de Paul Bismuth, les magistrats autorisent leur mise sous écoute (procédure qui aboutira à la condamnation de Nicolas Sarkozy pour tentative de corruption dans une branche annexe du dossier).
Las ! Les deux compères sont mis au courant et cessent toute confidence compromettante. Furieux, les magistrats imputent cet incident à une fuite émanant de leur propre institution. Ils décident alors d’éplucher les relevés téléphoniques (les « fadettes ») d’une vingtaine de protagonistes, dont des avocats, parmi lesquels Éric Dupond-Moretti. Lequel apprend ce détail par la presse et dénonce hautement les « barbouzeries » du Parquet financier. Tant et si bien que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, diligente une enquête administrative.
Quelques jours après, coup de théâtre : Éric Dupond-Moretti devient ministre de la Justice, c’est-à-dire le supérieur hiérarchique ultime des magistrats avec lesquels il rompait force lances. La règle veut qu’en pareil cas, on prenne toute précaution pour éviter le « conflit d’intérêt » entre ces deux Dupond, l’avocat irascible qui dénonçait les magistrats et le ministre tonitruant, qui pourrait user de ses fonctions pour régler un différend personnel. Éric Dupond-Moretti l’a-t-il respectée ? C’est tout l’objet du procès qui a commencé hier devant la Cour de Justice de la République. Rarement saisi par le doute, le Garde des Sceaux affiche une sérénité de lac savoyard, arguant qu’il n’a fait que poursuivre la procédure lancée par la précédente ministre. « Et je dirai même plus », continue-t-il, en soulignant qu’il s’est ensuite « déporté » au profit du Premier ministre Jean Castex.
L’ennui, c’est que par le truchement de sa directrice de cabinet, il a lui-même relancé la procédure contre les magistrats qu’il avait dans le nez, et que loin de se couper de ses anciennes activités une fois place Vendôme, il a conféré à de multiples reprises avec son ancien collaborateur avocat, ainsi qu’avec certains protagonistes de ses différents dossiers. D’où sa mise en examen et son renvoi devant la Cour de Justice.
Certaines mauvaises langues suggèrent que la nomination de Dupond-Moretti était aussi une bonne manière faite à Nicolas Sarkozy, en contrepartie de son attitude bienveillante avec le président. Et donc que les procédures lancées contre le Parquet financier à qui il attribue ses déboires judiciaires étaient aussi destinées à le contenter. Pure spéculation à ce stade, mais qui pimente à coup sûr le procès qui débute.